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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

dont il a le bon sens rustique, chéri du soldat qu’il entoure d’une constante sollicitude, grandit chaque jour en importance et en autorité.

Au banc des ministres, M. Guizot, pâle, les traits contractés, paraît souffrir avec une égale irritation le concours inintelligent de ses amis et les attaques malhabiles de ses ennemis politiques. M. Duchâtel, soucieux, las, ennuyé, vient s’asseoir auprès de M. de Salvandy, dont la confiance superbe et le zèle retentissant ne semblent pas soupçonner un danger, même lointain. Près d’eux siégent M. Hébert, la menace à la bouche, le plus détesté des hommes de répression ; M. Trézel, que sa probité inattaquable a fait choisir malgré sa capacité médiocre, afin qu’il y ait du moins dans le ministère une administration à l’abri de l’injure ; M. de Montebello, disciple de la philosophie éclectique, assez surpris de se voir subitement appelé, d’une ambassade où il a paru inexpérimenté, à un ministère auquel il ne saurait prêter aucune force ; M. Cunin-Gridaine, habile industriel, orateur des plus nuls ; M. Dumon, homme appliqué aux affaires, d’une parole lucide, d’un jugement sain, mais sans initiative ; M. Jayr, ignoré du public. Telle est la représentation du pouvoir au sein de l’Assemblée. Il n’y a là que deux talents, deux volontés qui absorbent les autres, et qui elles-mêmes sont absorbées par la volonté royale. Louis-Philippe, trop jaloux de son autorité, trop confiant dans son propre génie, reste à découvert derrière cet appareil mensonger d’un gouvernement dont la France ne respecte plus ni le caractère moral, ni les actes politiques, et dont, tout à l’heure, elle va secouer avec indignation le poids inerte.

Presque chaque jour, pendant les débats de l’adresse, quelqu’un des membres de la famille royale assiste aux séances. Le plus souvent la duchesse d’Orléans, tristement attentive, regarde, écoute, contenant avec effort, sous un sourire bienveillant, son inquiétude secrète. Dans une tribune voisine, on voit deux belles jeunes filles dont le visage