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HISTOIRE

et souple frondeur d’une dynastie qu’il aime. Nouveau venu dans une assemblée politique, on ne sait pas encore quelle position va prendre le général Lamoricière ; son œil brille d’une ardeur impatiente ; le soleil africain a-t-il mûri dans ce cerveau des idées politiques ou des talents parlementaires ? On n’en sait rien encore : ce que l’on sait du jeune chef d’armée, c’est sa bravoure ; ce que l’on devine, c’est son ambition ; ce que l’on soupçonne, c’est la mobilité de son caractère.

Au haut de ce que l’on appelle le centre droit, dominant toutes ces physionomies agitées et ce mouvement confus de voix et de gestes, la forte stature et la tête énergique du maréchal Bugeaud arrêtent le regard. Le commandement respire dans toute sa personne. Haï de la population parisienne depuis l’insurrection des 5 et 6 juin, le massacreur de la rue Transnonain[1], comme elle l’appelle, est également odieux au parti légitimiste qui se souvient de Blaye. Le roi redoute son caractère intraitable et lui sait peu de gré de son dévouement à la dynastie ; le ministère se plaint de ses façons despotiques, de son mépris des usages parlementaires[2] ; et cependant le duc d’Isly, aimé du paysan

  1. Cette calomnie de l’esprit de parti ne put jamais être effacée de l’imagination populaire. Il a cependant été mille fois démontré que le maréchal Bugeaud n’était pour rien dans l’horrible événement qu’on lui impute. Les forces militaires destinées à réprimer l’insurrection avaient été divisées en trois brigades ; le général Bugeaud en commandait une, mais il n’avait aucun ordre à donner dans les deux autres. La rue Transnonain ne se trouvait pas dans la circonscription de son commandement.
  2. M. Thiers, qui tenait en haute estime cette rare capacité militaire et ce grand bon sens, n’avait cependant pas osé l’employer pendant son dernier ministère, de peur de réveiller dans l’opposition de trop fortes antipathies. M. Guizot fut plus hardi ; mais les différends survenus à l’occasion de l’expédition de Kabylie, entreprise par le maréchal malgré une défense formelle du gouvernement, le firent remplacer par le duc d’Aumale. Le duc d’Isly fut mis à même, suivant l’expression de M. Guizot, de venir jouir de sa gloire et de se reposer dans ses terres, où il s’occupait avec passion d’agriculture théorique et pratique.