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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

l’oreille ; mais la Chambre, après ces incidents importuns, rentrait avec bonheur dans la gravité magistrale sous laquelle elle déguisait sa servilité et son apathie.

Il fallut, pour l’en arracher, une voix vibrante, qui vint tout d’un coup, sans ménagement ni pitié, jeter sous les vieilles voûtes du Luxembourg un cri d’alarme, et, réveillant à la fois, dans ces âmes engourdies, la haine et la peur, les transportât hors d’elles-mêmes, dans un état d’exaltation qui tenait du délire.

Ce fut au sujet des affaires de Suisse. M. de Broglie les avait présentées sous le jour le plus favorable au ministère, et la Chambre semblait se ranger à son opinion, lorsque M. de Montalembert parut à la tribune. Il ne s’arrêta point à réfuter l’argumentation des précédents orateurs ni à examiner, dans tous ses détails, une négociation plus ou moins habile ; il n’avait dessein ni de soutenir, ni d’attaquer le ministère. Emporté par une passion fougueuse, il laissa loin derrière lui le champ étroit de la polémique. Semblable à un guerrier qui brandit ses armes, plutôt qu’à un législateur qui expose ses idées, M. de Montalembert, signalant à la pairie un ennemi formidable, la fit pâlir au tableau des périls dont elle était menacée. Le radicalisme, suivant M. de Montalembert, était à la veille d’un infernal triomphe ; le radicalisme envahissait le monde ; rien ne résistait à ses attaques ; rien ne trouverait grâce devant ses fureurs. Et, d’une lèvre véhémente, le jeune orateur, répandant à dessein l’effroi dans les esprits, peignait à l’assemblée frissonnante ses biens dévastés, ses droits méconnus son sanctuaire violé bientôt peut-être par de nouveaux barbares, qui la contraindraient à payer, au prix de son patrimoine la rançon de ses votes et de ses arrêts[1]. Puis, remontant à la cause première de ces maux, de ces désastres, de ces catastrophes imminentes, il lançait l’anathème au dix-

  1. Expressions textuelles du discours M. de Montalembert dans la séance du 15 janvier 1848.