Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

d’humeur que par conviction d’esprit. M. Guizot, au contraire, ne pouvait souffrir la pensée de quitter le pouvoir. Son ambition tenace[1] s’irritait, au lieu de se lasser, dans la lutte. Le succès des radicaux pendant la campagne des réformistes, et surtout la combinaison, préparée au sein de l’opposition modérée, d’un ministère qui devait, selon toute vraisemblance, se concilier bien des suffrages[2], en blessant son orgueil, l’excitaient au combat. Loin de les contenir, comme c’était son devoir, il ranimait les colères de Louis-Philippe. Pour se rendre plus nécessaire, il jetait ce vieillard circonspect et temporisateur dans tous les hasards d’une politique provoquante, sans rapport avec son passé, en contradiction avec le caractère de tout son règne.

  1. Voici le langage que MM. Guizot et Duchâtel firent tenir au roi devant les Chambres réunies, le 27 décembre 1847 : Cette ambition se payait quelquefois de satisfactions très-puériles. Qui n’eût pensé qu’il devait être indifférent à un homme d’État en possession d’une prééminence réelle dans les conseils du roi d’en étaler à tous les yeux le signe extérieur ? M. Guizot eut cette faiblesse. Pour obtenir du maréchal Soult qu’il lui cédât la présidence du conseil, il ne craignit pas d’exposer Louis-Philippe aux railleries du pays tout entier, en lui faisant ressusciter en faveur d’une vieillesse vaniteuse la dignité de maréchal général de France Ce titre avait été créé pour le duc de Lesdiguières. Louis XIV l’avait renouvelé en faveur de Tureune. Depuis le maréchal Villars et le maréchal de Saxe, personne ne l’avait porté. Les prérogatives honorifiques auxquelles il donnait droit choquaient à tel point les habitudes d’esprit de la société actuelle qu’un rire général en accueillit le simple énoncé.
  2. Cette combinaison, dont M. de Girardin s’était fait l’instigateur, aurait amené au pouvoir, sous la présidence de M. Molé, MM. de Rémusat et Dufaure, qui, par leur refus d’assister aux banquets, avaient attiré l’attention bienveillante du roi. M. de Rémusat dans le conseil était un gage pour M. Thiers, qui, estimant peu viable un ministère dont M. Molé serait l’âme, consentait à attendre qu’il fût usé, et promettait de ne pas l’attaquer à la Chambre. Déjà plusieurs conférences avaient été ménagées entre M. Thiers et M. de Girardin chez une femme artiste, madame de Mirbel, qui faisait le portrait de l’un et de l’autre. Le journaliste n’emporta pas de ces entretiens une très-haute opinion de l’homme d’État. « Quand j’ai causé une heure avec M. Thiers ; disait-il un jour, il me prend une irrésistible envie d’aller serrer la main à M. Guizot. »