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HISTOIRE

de même trempe que son frère, madame Adélaïde, depuis la révolution de Juillet, jouait un rôle important aux Tuileries. Femme d’habileté et de résolution, elle avait pris, lors de cette révolution, une initiative hardie dont Louis-Philippe était incapable. Ce prince lui savait gré de l’avoir, en quelque sorte, poussé au trône. Madame Adélaïde était, d’ailleurs, pour lui un négociateur officieux, un précieux intermédiaire dans ses rapports compliqués et délicats avec les hommes politiques. Elle laissait par sa mort une place vide que personne ne pouvait occuper. Comme elle ne comptait que quatre années de moins que Louis-Philippe, sa fin semblait un avertissement. L’existence du roi pesait d’un si grand poids dans l’opinion que toutes les craintes, toutes les espérances demeuraient suspendues et s’ajournaient après son dernier soupir[1].

Depuis quelque temps aussi l’on s’entretenait des rivalités qui divisaient la famille royale. L’attendrissement qu’avait causé, en 1830, à la bourgeoisie, le spectacle de cet intérieur où régnait alors la plus parfaite concorde, avait fait place à des observations malignes qui donnaient cours à mille bruits injurieux. Le roi, disait-on, surveillait ses enfants avec une défiance extrême : il redoutait de les voir devenir trop populaires, et les retenait, sans jamais se relâcher de sa rigueur, dans une dépendance détestée. Se souvenant de l’influence qu’avait exercée son salon sous le règne de Charles X, il voulait surtout éviter que les salons des jeunes princes devinssent des foyers d’opposition et de cabales. La dévotion de la reine servait, en cela comme en beaucoup d’autres choses, la politique d’un époux auquel

  1. Plusieurs fois, au bruit de sa mort, la Bourse baissa. Un jour M. de Rothschild envoya son fils au Château pour savoir ce qui en était. « Dites à votre père, lui dit le roi en l’abordant, que je n’ai été ni saigné, ni purgé. » Louis-Philippe, comme tous les vieillards, aimait à faire parade de sa santé et plaisantait volontiers sur la régence, qu’il comptait bien empêcher en vivant jusqu’à la majorité du comte de Paris.