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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

traire à nos traditions, à nos intérêts, à notre honneur, M. Guizot se berçait d’un vague espoir de rapprochement avec l’empereur de Russie. Depuis quelque temps, Nicolas se montrait, non pas plus gracieux, mais moins insultant envers la gouvernement français ; il avait imposé silence à cette verve sarcastique qui, depuis 1850, s’exerçait impitoyablement sur la personne de Louis-Philippe ; il venait d’acheter pour cinquante millions de rentes françaises. Enfin le grand-duc Constantin, autorisé à passer quelques heures à Toulon au retour d’un voyage en Afrique, échangeait des présents avec le duc d’Aumale. C’est sur d’aussi faibles indices de bon vouloir que M. Guizot, tout prêt à effacer seize ans d’injures, fondait l’espérance d’une alliance chimérique. C’est dans une situation telle, à l’extérieur et à l’intérieur, que sa présomption redoublait, et que le ministre ouvrait les Chambres par le discours le plus provocateur qui eût encore été prononcé depuis 1830.

Et cependant une tristesse pleine d’anxiété pesait sur les esprits. On ne prévoyait point encore, mais on pressentait quelque catastrophe. Les conservateurs murmuraient tout bas que Louis-Philippe vieillissait, qu’il voyait moins juste et s’opiniâtrait davantage dans ses erreurs. Le silence de M. Guizot accréditait une opinion qui le soulageait par moments d’une responsabilité incommode. On discutait, sans trop se gêner, les éventualités qui pourraient surgir à la mort du roi[1] ; on s’effrayait des troubles qu’amènerait une régence disputée. La mort subite de madame Adélaïde parut à chacun le présage de jours néfastes pour la dynastie. Personne n’ignorait la part considérable que cette princesse avait toujours eue dans les conseils du trône. Seule confidente des pensées intimes de Louis-Philippe, parce que seule, dans tout ce qui l’entourait, elle avait, par nature et par éducation, des ambitions

  1. « Je crains moins la mort que la caducité, » avait répondu l’un des ministres aux inquiétudes que lui exprimait un conservateur.