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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

net français sur l’état de l’Europe, parce qu’il le connaissait mieux. Il voyait s’amasser les difficultés, se compliquer les événements ; il comprenait l’importance, pour l’Autriche, d’enlever l’appui de la France au mouvement révolutionnaire[1]. Ce fut le but de son rapprochement ; il eut bientôt à s’en applaudir. Au lieu de seconder en Suisse l’effort des radicaux pour créer un pouvoir central qui les mit à même de réviser le pacte fédéral, cette œuvre absurde du congrès de Vienne, M. Guizot soutenait, avec une opiniâtreté inconcevable, l’intégrité des traités de 1815, qu’il avait naguère, devant les Chambres, déclaré violés par l’occupation de Cracovie. S’éprenant d’un amour singulier pour les libertés cantonales, le protestant, le philosophe défendait avec véhémence les jésuites de Lucerne et la ligue séparée. Notre ambassadeur avait ordre d’encourager par tous les moyens la résistance, et de menacer la Diète en termes à la fois violents et ambigus, qui fissent croire à une intervention sans y engager, car on la savait chez nous impossible. La politique de Louis-Philippe, c’était de fomenter la guerre civile pour se donner le temps de concerter une médiation des cinq puissances[2] qui eût détruit l’indépendance helvétique. Triste dessein, conçu et conduit avec hésitation, avorté en quelques heures, par la faiblesse de ce parti dont on avait voulu enfler l’audace sans lui accorder d’autres secours que des promesses vagues et des envois d’armes clandestins ; mis à néant par la fer-

  1. M. de Metternich prévoyait dès lors les éventualités qui pourraient forcer le pape à quitter ses États. Il admettait, dans ce cas, l’occupation française comme plus prudente et moins antipathique aux Italiens que l’intervention autrichienne.
  2. M. Guizot était tombé d’accord avec M. de Metternich pour résoudre concurremment la question suisse. Il se flattait de renouer ainsi l’alliance continentale et de montrer à l’Angleterre qu’on pouvait se passer d’elle. Mais Louis-Philippe, malgré l’avis du duc de Broglie, alors ambassadeur à Londres, ne put se décider à courir la chance d’une rupture, et voulut absolument attirer lord Palmerston dans ces négociations. De là des lenteurs et des duplicités qui ne contribuèrent pas médiocrement au salut de la Diète helvétique.