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PREMIER DIALOGUE.

suprème du génie. C’est, chez Dante, la Vita Nuova et la Commedia : chez Goethe, Werther et Faust.

MARCEL.

Brava, Diotime ! j’admire votre éloquence. Mais ne me sera-t-il pas permis de hasarder une observation ?… Ne le fâche pas, Viviane, il me semble que je garde depuis assez longtemps le plus humble silence. Je me mords les lèvres de peur qu’il ne leur échappe quelque sottise.

DIOTIME.

Voyons, quelle est l’observation qui vous étouffe ?

MARCEL.

Oh, mon Dieu ! c’est au fond toujours la même. Votre très-grand esprit prend son vol vers l’idéal, le tout petit mien s’accroche à la réalité. Là où vous voyez Dante consolé par Boëce et la philosophie, adorant à genoux la pure image de la bienheureuse Béatrice, je le vois, moi, qui se distrait et se divertit dans la galanterie ; épris en un clin d’œil d’une jolie femme qui le regarde de sa fenêtre ; amoureux, perpétuellement amoureux à Florence, à Lucques, à Bologne, à Padoue ; et, en fin de compte, acceptant de la main de ses parents la plus bourgeoise des consolations, celle d’une femme légitimement possédée, en vertu du sacrement de mariage, et qui lui donne la bénédiction de six à