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DANTE ET GŒTHE.

de dire d’elle, un jour, « ce qui n’a jamais été dit d’aucune femme. »

Remarquez, Viviane, ce travail latent, ce progrès de la consolation dans les grandes âmes. Elle commence à naître quand, du sein de l’accablement, de la prostration de toutes les facultés, se produit un vague besoin de laisser couler les larmes, de donner une issue, quelle qu’elle soit, au désespoir. À ce besoin correspond d’ordinaire une circonstance fortuite, une voix du dehors qui nous rappelle à nous-mêmes, un ami, un Guido Cavalcanti qui nous tend la main. L’âme alors se soulève un peu et regarde autour d’elle. Elle cherche dans les douleurs semblables à la sienne un écho sympathique. Elle généralise sa souffrance, et, d’un état personnel, d’une misère en quelque sorte égoïste, elle passe à la considération de la parité des misères humaines. C’est là un grand progrès dans la consolation, parce qu’il élève la tristesse sur les hauteurs de la philosophie. C’est ce progrès que fit Dante en lisant le livre de Boëce. De la méditation des pensées d’autrui, de l’impression reçue, de ce que j’appellerai la consolation passive, qui vient à nous du dehors, par la voix de nos amis, de nos proches dans la vie spirituelle ; de ce premier degré d’acceptation philosophique de la douleur, où s’arrêtent la plupart des hommes, les plus doués s’élèvent encore à une région supérieure. Ils se sentent pleins d’un grand désir de confesser leur douleur. Ils veulent que son objet soit connu, aimé, admiré de tous ; ils le veulent exalté dans la mémoire des hommes. C’est l’éveil de la faculté créatrice ; c’est la consolation