Page:Agoult - Dante et Goethe - dialogues.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
DANTE ET GŒTHE.

l’élément aristocratique par excellence, le goût, la réflexion, la délicatesse.

Jamais, peut-être, plus qu’au temps de l’Allighieri, ces courants de chaleur, de lumière et d’électricité n’avaient pénétré ce que nous appellerions aujourd’hui le corps social, ce que l’on appelait alors en Italie la patrie, la cité : grands mots dont nous avons perdu le sens. Tout le monde s’y connaissait, se jalousait, s’aimait ou se haïssait fortement dans cette vivante Florence où le peuple enthousiaste et railleur, prenant part à tous les progrès, convié à toutes les études, véritablement souverain même dans les choses de l’esprit, déversait en acclamations, en ostracismes, en attributs, en sobriquets, honorifiques ou ironiques, la gloire ou l’ignominie sur les citoyens, nobles et riches, chevaliers, artistes ou artisans, qui combattaient pour lui ou contre lui sur la place publique, il y avait assurément dans cette vie florentine bien des périls ; il s’y commettait bien des injustices. On y voyait de rapides extinctions de familles. Les maisons, à peine édifiées, étaient rasées de fond en comble ; aucune propriété n’était assurée contre la confiscation ou le pillage ; d’iniques persécutions abrégeaient l’existence ; mais la chaleur et le mouvement étaient partout, réparaient tout, entretenaient la fécondité des cœurs et des esprits. Et toute cette guerre intestine, cette lutte acharnée des instincts et des passions, produisait dans les régions de l’art quelque chose d’analogue à ce qui se voit dans les grandes scènes de la nature : au-dessus du combat, de la destruction, du carnage, au-dessus du struggle for life, dirait Darwin.