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XXXVII

ce que je vous dirai. Vous véez comment le comte de Foix, vos- tre père, a, à son tort, en grand haine vostre mère ma sœur, et ce me déplaît grandement et aussi doit-il faire à vous. Toute- fois, pour les choses réformer en bon point, et que votre mère fut bien de votre père, quand il viendra à point, "vous prendrez un petit de cette poudre et en mettrez sur la viande de vostre père et gardez bien que nul ne vous voie. Et si tost comme il en aura mangé, il ne finira jamais, ni n’entendra a autre chose fors qu’il puisse ravoir sa femme vostre mère avecques lui ; et s’entraimeront à toujours, mais si entièrement que jamais ne se voudront départir l’un à l’autre. Et tout ce devez vous grande- ment convoiter qu’il avienne. Et gardez bien que de ce que je vous dis, vous ne vous découvrez à homme qui soit, qui le dise à votre père, car vous perdriez votre fait. » — L’enfès que tour- noit en voir tout ce que le roi de Navarre son oncle lui disoit, répondit et dit : — Yolentiers ! »

Gaston, rêvant au doux avenir que son oncle lui promettait, revint en hâte chez son père. Celui-ci, nous l’avons dit, avait des bâtards, et sans crainte du scandale, sans ménagement pour sa femme et son fils, les recueillait chez lui. L’un d’eux, Yvain était son nom, avait la même taille et le même âge que Gaston. Elevés ensemble, ils n’avaient qu’une chambre et mettaient parfois les vêtements l’un de l’autre. Gaston, à son retour, reprit sa vie intime avec son frère naturel. Peu de jours après celui- ci, suivant son habitude, voulut revêtir la cotte de son com- pagnon et découvrit la bourse et la poudre donnée par le roi de Navarre. A la suite d’une querelle d’enfant, il alla porter plainte à son père et lui dire que Gaston, depuis son arrivée, portait sur sa poitrine une boursette toute pleine de poudre. — « Mais, iajouta-t-il, je ne sais à quoi elle sert, ni ce qu’il en veut faire, fors tant que il m’a dit une fois ou deux que madame sa mère sera temprement et bien bref mieux en votre joie que oncques ne fut. »

Le comte fit venir son fils, lui prit dans le sein la petite bourse et mit de la poudre qu’elle contenait sur une tranche de pain. Un lévrier, auquel il la fit manger, mourut sur-le-champ dans d’atroces convulsions.

Le comte de Foix, sans faire la moindre enquête, voulait tuer son fils : on arrêta son bras, et sa colère s’assouvit sur ses ser- viteurs, traînés en grand nombre au supplice. Le jeune prince