Page:Agnès de Navarre-Champagne - Poésies, 1856.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

XXII

qu’il en soit, Machault, tel qu’il était, ne dormit pas. A quoi songea-t-il jusqu’à noue ? Fort peu sans doute aux affaires de monseigneur le duc de Normandie. L’imagination chez le poète ne vieillit pas : la sienne rêva le paradis terrestre ; mais sa sagesse fut victorieuse, et le baiser du matin le récompensa d’une lutte soutenue avec héroïsme.

Cette narration n’est donc pas une indiscrétion grave à repro- cher à l’auteur. La composition du Voir DU était une exigence d’Agnès, une complaisance de Machault. Aussi le voit-on sans cesse hésiter entre la soumission de l’amant et le respect inquiet du fonctionnaire. Il n’avance dans son récit qu’en hésitant ; sans cesse il demande s’il faut tout dire ; il n’a rien publié sans s’être soumis à. la censure. Il communiquait de temps à autre, à sa belle amie, les portions du poëme déjà faites, en lui demandant ce qu’elle en pensait. « Et s’il y a, — lui disait-il dans une de ses lettres, — aucune chose à corriger, faites y enseignes, car il vous a plue que je y mette tout notre fait. Si je ne say si y met trop ou po (1). » Et ailleurs : « Si ne say s’il est bon que je mette vos lettres en mon livre tout ainsi comme elles sont. » Plus loin il ajoute :

Et si j’ai dit trop ou pau,

Pas ne m’esprins ; car, par saint Pau !

Ma dame veult qu’ainsi le face,

Sous peine de perdre, sa grâce.

Et bien veult que chascun le sache,

Puis qu’il n’i a ni vice ni tache.

Cette protestation de Guillaume explique son rôle ; elle était nécessaire pour donner à ce qui suit son véritable caractère. Tout passe, même les beaux jours, et surtout les beaux jours ; il fallut bientôt quitter l’hôtellerie hospitalière. Les adieux furent tendres. Ecoutons le Voir DU :

Adonc la belle m’acola, Et mis son bras à mon col a., Et je de deux bras l’acolai, Et mis son autre à mon col ai.

(-1) P. US.