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XVIII

Cueillir une verde feuillette

Et la mist dessus sa bouchette,

Et me dist : — « Baisiez ceste feuille. »

Adonc Amour, veuille ou non veuille,

Me fist en riant abaissier

Pour ceste feuillette baisier.

Mais je n’i osoie touchier,

Comment que je l’eusse moult chier.

Lors désire le me commandoit,

Qu’à nulle riens plus ne tendoit.

Mais cils tira la feuille à li,

Dont j’eus le viaire pâli,

Car un petit fu paoureus

Par force de mal amoureus.

Non pourqnant à sa douce bouche

Fis lors une amoureuse touche ;

Car je y touchai un petiot.

Certes, unques plus fait n’i ot.

Mais un petit me repenti —,

Pour ce que quant elle senti

Mon outrage et mon hardement,

Elle me dit moult doucement :

— « Amis, moult estes outrageus !

Ne savez-vous nulz autres jeus ? »

Mais la belle prist à sourire

De sa très belle bouche au dire ;

Et ce me fist ymaginer

Et certainement espérer

Que ce pas ne li desplaisoit.

C’était un début de riant augure. Mais on voit, à l’inquiétude de Guillaume, qu’il ne se lançait qu’en tremblant dans une in- trigue où tous les dangers étaient pour lui, et ceux du ridicule en cas de mystification, et ceux du châtiment si la famille royale prenait au sérieux ce rêve qui venait rajeunir son au- tomne.

Une semaine se passa dans de douces rencontres, d’aimables entretiens ; la poésie et la musique occupaient les deux amants. Machault donnait des leçons reçues avec plaisir ; Agnès chan- tait les ballades de son doux ami. Quelquefois de ses bracelets elle faisait un collier qu’elle lui mettait en badinant au cou.