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III

comble à leur puissance, un mariage leur donna des droits au sceptre de Jérusalem, et un héritage leur apporta la couronne de Navarre. Aussi le fief de Champagne étendait-il ses bras au loin : il enveloppait Paris et touchait à la fois la frontière de la Bretagne, encore celtique, et celle de l’Allemagne, toujours teutone. Autour du soleil des cours, les lettres et les arts cher- chent la vie. Partout où se dresse leur bannière naît, grandit et se développe le mouvement intellectuel. Troyes était la capitale du comté de Champagne, la ville du progrès.

De nos jours, Blois et Tours passent pour parler un français pur, sans accent, sans patois ; nulle autre cité ne leur dispute cette palme. — Quand les bords de la Seine et les rives de la Marne reconnaissaient des seigneurs différents, la langue fran- çaise n’existait pas encore ; un mélange de locutions romaines francisées, de termes latins, barbares, celtiques et germains, altérés par les siècles et corrompus dans la bouche du peuple, tendait à remplacer à la fois la langue de Vercingétorix, celle de César et/l’idiome de Clovis. Quand, au XIIe siècle, apparaissent les œuvres de la langue d’oil, Blois et Châlons, Meaux et San- cerre, Tours et Troyes ont pour maîtres communs les Thibault, les Henri, les Etienne, princes libéraux et lettrés, capables de comprendre et de diriger le mouvement des esprits. Lancés avec honneur dans les croisades, il donnèrent en même temps à leurs Etats des jours de gloire et de prospérité que depuis ils n’ont plus revus. Alors naissait la langue française, alors fleurit notre littérature.

Blois, Chartres et Tours, dans les XIIe et XIIIe siècles, virent sans doute conteurs et chansonniers briller dans leur sein ; mais étaient-ils tous les enfants du sol ? Dieu nous garde de re- fuser à ces riches provinces toute part à la régénération sociale de la France, de les montrer plongées dans un sommeil bar- bare, alors que l’intelligence et le savoir sérieux ou gai se ré- veillaient et marchaient à grands pas à leur première renais- sance I Mais à quelle époque la pureté de langage commença-t- elle à se faire admirer près des bords enchantés de la Loire ? Quand y distingue-t-on ce dialecte doux à l’oreille, respectueux pour la grammaire, vif et clair comme l’eau de la source lim- pide ? Cette fleur n’est-elle pas moderne ? N’est-ce pas une fille de la seconde renaissance et des faits qui l’ont préparée ? Nous sommes tentés de la faire éclore au temps où le jardin de la France se peuplait de manoirs élégants, alors que la cour de