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À leur arrivée en France, ils étaient soumis à un autre ordre de législation, qui n’autorise point les mesures arbitraires.

Mais, dira-t-on, à la Martinique, on n’a pas prononcé un simple bannissement, mais une véritable déportation. Si on l’a fait, on a eu tort ; la législation coloniale ne peut pas étendre sa juridiction jusqu’à la métropole ; si l’arrêté du 10 septembre 1817 semble l’autoriser, c’est une erreur évidente. Le système qui régit les colonies, ne peut pas rétroagir sur le territoire national, où règne la liberté individuelle. Autrement et par un ordre publié dans les colonies, on pourrait flétrir les citoyens de la métropole et de la colonie, confisquer leurs propriétés, etc.

En quatrième lieu, je soutiens qu’aucun fonctionnaire français ne peut, sans compromettre sa responsabilité, et sans s’exposer aux poursuites autorisées par le Code pénal, art. 119, retenir en prison des individus qui ne sont pas légalement condamnés.

Mais, dira-t-on, que faut-il donc faire ? Les renverra-t-on au Sénégal ? On ne le peut à l’égard de ceux qui n’ont pas été déportés nominativement, par la décision que le conseil examine ; ce serait changer la peine, ce serait l’aggraver. Or, j’en suis sûr, il n’est pas un des membres du conseil qui croie avoir reçu du roi ce pouvoir, ou qui croie pouvoir conseiller au ministre de le prendre.

Si la décision est inexécutable en France, on ne peut que les mettre en liberté, en leur laissant la faculté d’y réaliser leur fortune, et d’y vivre à l’abri de ses lois, ce qui permettrait à ces malheureux de réparer leurs pertes ; ou de se rendre à Saint-Domingue, ou dans les colonies voisines, afin de se réunir à leurs familles.

Mais, dira-t-on, si on les met en liberté, ils peuvent retourner à la Martinique, et le salut de la colonie s’y oppose. Je crois qu’il n’y a de salut pour la colonie que dans la justice, et que le gouvernement français, en favorisant l’esprit brouillon et insurrectionnel des blancs, aliène le cœur de sujets fidèles, et prépare de grands malheurs ; mais pour répondre à l’objection, je dirai que si les déportés enfreignent leur ban, ils seront punissables. Reconnaître qu’ils peuvent l’enfreindre sans encourir aucune peine, serait reconnaître que la mesure de déportation a été illégale.

J’espère donc que le comité, pour répondre aux intentions de S. E., exprimera l’avis qu’aucune loi n’autorise la détention en France d’individus frappés d’une mesure extra judiciaire, et que leur mise en liberté seule peut mettre la responsabilité du ministre à couvert.

Veuillez me pardonner ces réflexions ; elles me sont dictées par un devoir sacré et impérieux. Je n’abandonnerai jamais