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toutes les ordonnances dont les gens de couleur libres avaient secoué le joug. Mais l’habitude exerçait déjà un si grand ascendant, qu’ils furent probablement effrayés des funestes conséquences qu’entraînerait toute mesure violente.

Ainsi, nous l’avouons, la plupart des ordonnances dont se plaignent les gens de couleur libres ne sont pas toujours exécutées, quoiqu’elles existent de droit. Mais pourquoi ne pas les anéantir, puisqu’on peut les violer impunément ? Pourquoi laisser subsister un épouvantail de lois dont on redoute à chaque instant l’arbitraire exécution ?

Si, quittant les villes, nous nous transportons dans les campagnes, nous n’y trouverons pas moins d’abus. Rien n’y protège l’homme de couleur libre. Sa propriété convient-elle à un colon blanc, il doit la lui céder ou s’attendre à voir ses champs impunément ravagés. C’est alors qu’abandonné des tribunaux, et semblable au frêle roseau, il est obligé de plier à tous les vents des ambitions locales.

Enfin les annales de nos colonies ne sont remplies que d’actes arbitraires, de vexations et de crimes impunis des privilégiés. Parmi cette foule de faits, qui déshonorent l’humanité, nous en citerons deux ou trois pris au hasard.

On n’a pas encore oublié ce colon brutal et avide qui, convoitant la propriété d’un homme de couleur libre, la fit ravager impunément par ses troupeaux, sous prétexte que ses offres d’achat avaient été refusées, et le réduisit pour ainsi dire à la mendicité.

Tout le monde sait qu’un commandant de quartier a fait rayer un jeune homme de la compagnie dans laquelle il servait depuis sept ans, pour obtenir la liberté ; que le même jeune homme, s’il veut devenir libre, doit se soumettre à huit autres années de corvées et d’épreuves. Quel crime avait-il donc commis, pour être ainsi privé du fruit de sept ans de travail ? Sa mère infortunée avait une génisse pour toute fortune, et avait refusé de la vendre à une privilégiée, parente du susdit commandant.

Parlerons-nous de cet homme de couleur libre assassiné dans une assemblée nombreuse par un blanc, sans motif, ou du moins sans provocation, et qui, du fond de son tombeau, nous apparaît comme un nouvel Uri ? Comment l’assassin a-t-il été puni ? Après une année d’absence, il est rentré chez lui en triomphateur, et a été revêtu plus tard de la charge de commissaire-commandant de son quartier.

À quelle cause attribuer toutes ces atrocités ? Aux lois d’exception, nous le répétons, par lesquelles on opprime les gens de couleur libres. Mais, nous dira-t-on, en 1805 le Code français a été introduit à la Guadeloupe et à la Martinique. Pour la caste privilégiée, oui sans doute ; mais les gens de couleur