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ver des exemples semblables, si ce n’est dans ces temps horribles où la féodalité se faisait gloire de ses violences, et se parait impudemment des dépouilles du faible ? Ah ! qu’il nous soit permis d’espérer des jours plus heureux, d’espérer que l’on arrêtera enfin le cours de ces iniques spoliations, et que, tout en s’occupant du bien-être des colons blancs, on ne méprisera pas les justes plaintes des gens de couleur libres. Nous en conjurons l’auguste dispensateur de l’autorité suprême, en qui notre confiance est aussi grande que notre amour pour sa personne sacrée. Nous en conjurons celui qui fait bénir son nom à trente millions de Français, et admirer sa sagesse au reste de l’univers.

Le lecteur ne pourra sans doute s’empêcher de demander quelles sont les fortes raisons qui nécessitent le maintien d’ordonnances aussi rigoureuses et aussi contraires a la justice et à l’humanité. On redoute que les gens de couleur libres deviennent puissans et heureux ; voilà la seule qu’on ait à donner. Pour les tenir plus sûrement dans la misère et l’opprobre, on a fait des lois qui les excluent de toutes les professions honorables ou lucratives. Ainsi, un homme de couleur ne peut être avocat, notaire, médecin, chirurgien, pharmacien, orfèvre, horloger, charpentier, menuisier, serrurier, maçon, etc., etc., etc.

Les injustices et les vexations, dont on les accable, ne se bornent pas à cela : il ne leur est permis que de vendre en détail ce qu’ils achètent en gros : mesure pleine de prévoyance, qui les empêche de faire d’heureuses spéculations. On a encore porté plus loin le désir de les humilier : on a été jusqu’à faire des lois somptuaires par lesquelles un genre particulier d’habillement leur est prescrit, et des amendes leur sont infligées lorsqu’ils ne s’y conforment pas exactement[1].

La plupart de ces ordonnances sont tombées en désuétude, il est vrai ; voici comment : Les Anglais s’étant emparés de la Guadeloupe et de la Martinique, soit par politique, soit par humanité, jugèrent à propos de contribuer au bien-être des gens de couleur libres, qui, pleins d’activité et d’intelligence, profitèrent rapidement de l’occasion. Les uns embrassèrent donc une partie des professions qu’il leur avait été jusqu’alors défendu d’exercer, et les autres firent des entreprises commerciales qui leur réussirent ; enfin l’aisance naquit tout-à-coup parmi eux. Quant aux lois somptuaires, elles cessèrent d’être exécutées, du moins en grande partie, ainsi qu’on doit le supposer.

Lorsque ces colonies furent rendues à la France, les privilégiés auraient voulu, nous n’en doutons pas, faire revivre

  1. Voyez les ordonnances du 3 janvier 1720, du 7 septembre 1754, du 31 juillet 1765, et du 1er  novembre 1809.