Page:Affaire des déportés de la Martinique, 1824.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Européen ; il a été élevé au rang de citoyen par la législation révolutionnaire ; il est repoussé dans l’ignominie et presque dans l’esclavage par la remise en vigueur des anciens réglemens coloniaux, réglemens incohérens, contradictoires entre eux et avec les ordonnances. Les gens de couleur espèrent en la bonté du Roi : ils vivent en sujets soumis et fidèles, en attendant le jour de la justice royale. Puissent-ils persévérer dans cette conduite !

Mais vous, ministres du Roi, devez-vous laisser subsister des incertitudes aussi dangereuses ? Croyez-vous que des adoucissemens arbitraires, apportés au sort de cette classe, suffisent pour assurer à jamais son attachement à la métropole ? La grande île de Haïti est gouvernée par les gens de couleur qui y forment une aristocratie puissante. Cette même caste exerce dans la république de Colombie, si voisine de nos îles, toutes les fonctions civiles et militaires, concurremment avec les blancs ; pouvez-vous nier que cet ensemble de circonstances présente un de ces cas graves où il n’est pas permis à un ministère de rester inactif, et d’attendre les bras croisés, comme vous l’avez fait jusqu’à ce jour, que les chances incertaines de l’avenir amènent une crise salutaire ou funeste ?

Le bon sens indique les deux mesures urgentes : La première, une ordonnance royale qui, parmi le chaos des réglemens coloniaux, abroge formellement tous ceux qui, dictés par l’esprit des anciennes assemblées coloniales, ne sont plus en harmonie avec l’état moral et social auquel les hommes de couleur se sont élevés ; la seconde, une législation nouvelle et complète qui détermine les droits et les privilèges de chaque subdivision d’hommes libres dans les colonies.

Les expressions soigneusement pesées que nous employons, montrent assez que nous ne partageons pas l’idée chimérique d’introduire dans les colonies l’égalité civile qui règne légalement dans la métropole. Toute société fondée sur l’esclavage (et malheureusement tel sera long-temps encore l’état de nos colonies) admet et exige même une hiérarchie de classes inégales en droits, semblable à celles qui existaient dans beaucoup de petites républiques.

Mais, si on veut conserver nos colonies, qu’on se hâte de leur donner cet exemple de lois fondamentales qui leur manque. On s’est indigné avec raison de l’atroce folie qui voulait immoler les colonies à un principe ; mais n’est-ce pas une autre folie de les immoler à l’absence des principes ?