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1965

VULGATE LATINE ET S. JEROME

1966

i° On peut convenir que S. Jérôme a excédé dans la préférence systématique qu’il donne au texte massorétique, quand il ne s’accorde pas avec la version grecque des Septante ; mais il est en cela excusable. Toute réaction devient vite, et comme fatalement, excessive. Le nouveau traducteur avait affaire à des adversaires dont l’incompétence et la routine l’irritaient. Il a surtout protesté contre le sentiment, alors assez commun, de l’inspiration des Septante ; car ce préjugé rendait impossible toute tentative de « retour aux sources ». Nous savons aujourd’hui que l’avenir devait lui donner raison. D’ailleurs, nous avons dit plus haut (col. ig53-4)iCTa’il tient compte des Septante, et qu’il reconnaît aux autres le droit de s’en servir. Lui-même suit le texte des Septante quand il commente l’Ecriture, ses commentaires et ses homélies en font foi. Pouvait-il procéder autrement ? Il savait bien que sa propre traduction n'était pas encore un texte public, ni encore moins officiel.

D’ailleurs, son attitude vis-à-vis des Septante a manqué de consistance, faute de conviction ou de courage. Tantôt il dit ou semble dire que les auteurs inspirés du N. T., qui connaissaient les lxx, citent néanmoins l’Ancien Testament d’après le texte hébreu ; ce qui est de nature à jeter du discrédit sur la version grecque. Tantôt, au contraire, il met les défectuosités de cette même version au compte des copistes ou correcteurs, qui en ont altéré le texte primitif, a Si LXX interprétant, pura et ut ab ois in græcum versa est, editio permaneret, superflue nie, Chromati…, impelleres ut hebræu tibi volumina latino sermone transferrem. » Præf. in Paralip., P. L., XXVIII, 13a3.

Ou doit se garder d’entendre de la version des Septante les critiques que fait S. Jérôme des versions d’Aquila, de Symmaque et de Théodotion. Œuvre du n c siècle de notre ère, ces nouvelles traductions avaient eu précisément pour but de réparer le mal fait au judaïsme par les « traducteurs alexandrins », le jour qu’ils avaient livré aux Grecs les mystères de l’Ecriture.' Ce jour, commémoré tout d’abord par un festival, fut par la suite consacré à un jeûne d’expiation.

Les apologistes chrétiens du n' siècle, notamment Justin, Irénée, Tertullien, ont accusé les trois traducteurs judaïsants d’avoir, à dessein, atténué ou même altéré les prophéties messianiques ; et S. Jérôme lui même est de leur avis. Ce n’est pas que les textes (une demi-douzaine), apportés par les apologistes en preuve de leur assertion, soient tous probants. On peut, par exemple, contester que le mot hébreu almah (/saie, vii, 14), ne comporte pas la traduction » sôa>ti, puella, (au lieu de r.a.pBivoi, lxx.), et qu’avec elle soit exclu le sens messianique donné à cet oracle par l Evangile (Mutth., i, a3) ; mais, en revanche, il faut convenir que dans le ps. xxi, i- la leçon authentique est bien Kâaru, et que les lxx l’ont traduite exactement par tipuÇav, foderunt. S. Jérôme semble faire exception pour Aquila, dont il a écrit : t interpretatus est ut christianus », mais ailleurs il dit le contraire (P. /.., XXII, 4^6-457).

Encore que S. Jérôme n’ait pas estimé les Septante à toute leur valeur, et que son œuvre s’en ressente, il serait injuste de voir en lui un adversaire aveugle de leur traduction.

2° Par traditions « talmudiques », on entend ici celles que les encyclopédistes juifs commençaient, précisément vers la fin du ive siècle, à consigner dans la collection qui devait porter le nom de Talmud. Ces traditions accompagnaient depuis longtemps l’exégèse rabbinique delà Bible. S. Jérôme les tenait des savants juifs, qu’il avait choisis pour maîtres. Elles ont influencé sa version, mais si

rarement qu’elle n’en reste pas déparée. Le cas le plus saillant est la double traduction de Gen., xi, 2& et de II Esdraa, ix, 7. L’hébreu de II Esdras, L r Kusdini, est traduit d’abord par Ur Ghaldæorum (c’est la traduction correcte du nom de la ville où était Abraham) ; et ensuite par igné Chaldavoi um, d’après la tradition juive, qui veut qu’Abraham ait été jeté dans le feu par ses concitoyens, parce qu’il avait refusé d’adorer les idoles. Dans ses Quæst. hebr. in Gen., P. I.., XXIII, g56, S. Jérôme traite de « fable » cette tradition, mais ailleurs il écrit :

« Vera igitur Hebræorum traditio ». Ce qui nous

donne le droit de conclure qu’il n’avait pas de sentiment ferme à ce sujet, et qu’il n’y attachait < ; ue peu d’importance.

3° Il est exact que, pour des préoccupations de polémique, et peut-être aussi pour rendre sa version plus appréciable aux catholiques, S. Jérôme a précisé plus que de juste certains textes messianiques, notamment dans Isaïe, xi, 10 : Et erit sepulcrum rjus « loriosum ; xvi, i : Emitte agnum dominatorem terræ ; xlv, 8 ; Nubes pluant iustum ; li, 5 : Pi ope est iustus, egressus est salvator. Et ailleurs : Jérémie, xxxi, 2a : Et femina circumdabit virum, etc. En lisant ses commentaires, on s’aperçoit que dans les textes cités il suit une opinion ou même substitue son sentiment personnel à l’opinion commune, si toutefois il existait déjà une opinion commune. Il a, comme tout le monde, payé tribut à l’infirmité humaine. Quandoqtte bonus dormitat Homerus.

4° Que S. Jérôme ait travaillé trop vite, c’est lui-même qui nous en avertit ; mais le cas n’est pas fréquent, et encore se présente-t-il dans des conditions qui le rendent excusable. Il a traduit en trois jours les livres de Salomon (Prov., Eccl., Cantique), le livre de Tobie ne lui a demandé qu’un jour, et Judith une nuit. D’abord, faisons la part de l’exagération oratoire qui lui est assez familière ; et, ensuite, prenons la peine de peser les mots dont il se sert. Dans la Préface de Tobie, il écrit : « Utriusque linguæ (hébreu et chaldéen) peritissimum loquacem (un des Juifs, ses maîtres), reperiens, unius diei laborem arripui, et quidquid ilte mihi kebraicis verbit expressit, hoc ego, accito notario, sermonibus latinis expressi. » Mais il ne nous dit pas ce que lui a coûté de temps l'étude qui a précédé cette dictée. Le livre de Tobie compte 275 versets, et chacun de nos versets représente trois ou quatre lignes des manuscrits d’alors. Ce qui répond assez bien au renseignement que S. Jérôme nous donne ailleurs (P. L., XXVI, 477), où il se flatte d’avoir diolé parfois mille lignes en un jour. Son traité Contra Vigilantium a été pareillement dicté en une nuit (P. L., XXIII, 352), mais il n’est pas dit qu’il ait été composé en si peu de temps. On peut croire que S. Jérôme a préparé lentement et à bàtonsrompusla traduction des « livres de Salomon » pendant la longue maladie qui précéda l’année (3g8) où il les dicta. Præf. in libr. Salom., P. L., XXVIII, ia41 ; Epist., lxxi, n. 5 ; et lxxiii, n. 10 ; P. /.., XXII, 671, 681. Ce n’est pas de sa traduction, mais de certains de ses commentaires ; que S. Jérôme a écrit « qu’il avait dicté tout ce qui lui venait sur le bout de langue », tant pour satisfaire le lecteur, curieux de connaître les opinions des divers commentateurs, (c. Ru fui., I, 22, II, n ; lu lerem. Prol. ; P. !.., XXIII, 415, 465 ; XXIV, 681), que pour calmer l’impatience du tachygraphe, qui supporte mal qu’on le fasse attendre. Ah ! les tachygraphes, de combien de faute* ils sont responsables ! Epist., xxi, n. 42 ; P. /-., XXII, 3 9 4.

En défendant S. Jérôme des reproches qui lui ont