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TYRANNICIDE

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abdicatione, où le tyrannicide est exalté sans aucune restriction, et le coup de poignard de Jacques Clément qualifié d’ « acte merveilleux » ; plus tard le même auteur écrivit une apologie de l’attentat de Jean Cliàtel contre Henri IV. (Les textes se trouvent au tome VI, ou supplément, des Mémoires de Condé, La Haye, 1743. Cf. L. "Wbill, Les théories sur le pouvoir royal en France pendant les guerres de religion, p. 2.U sq. Paris, 1892. — Labittb, De la démocratie chez les prédicateurs de la Ligue, p. 90, 202, 295. Paris, 18/J1).

Le livre du jésuite espagnol Jean Mariana, paru à Tolède à la lin de 1598, étant l’objet d’attaques particulières, doit être analysé ici. L3 De Rege et /legis institutione fut écrit pour l’instruction de l’inl’. nt d’Espagne qui devait régner sous le nom de Philippe III ; ce roi en accepta la dédicace. L’édition princeps est celle de Tolède, en 1699 ; c’est à elle que se référeront les citations qui vont suivre ; les e litions subséquentes offrent des modifications dont i ; uelques-unes ont de i’intérêt (cf. Labittb, De jure politico quid senserit Mariana, p. 34 sq. Paris, 18I1).

Après quelques pages vraiment belles sur l’origine du pouvoir, les droits et les devoirs de la royauté, Mariana expose les différences qui existent entre un roi et un « tyran », et distingue le tyran d’usurpation du tyran de gouvernement. Il se pose ensuite cette question : « Est-il permis de se défaire d’un tyran ? » Pour le tyran d’usurpation, il donne les mêmes solutions que les scolastiques cités plus haut (p. y5 sqq.). Pour le tyran de gouvernement, il faut, dit-il, autant que possible, supporter ses « vices et passions », par crainte de plus grands maux. Mais si la tyrannie devient intolérable ; « si le prince perd la patrie, appelle l’ennemi sur le sol national, pille les ressources de l’Etat et celles des particuliers, méprise les lois et la religion elle-même », que faire ? Les représentants de l’Etat devront d’abord se réunir. Ils admonesteront le prince, et au cas où leurs monitions resteraient inutiles, le déclareront déchu de son trône et ennemi public ; la guerre s’ensuivra nécessairement ; et dans cette guerre, « si l’Etat ne peut autrementsauvegarder ses intérêts, il aura le droit de faire périr le prince, déclaré ennemi public ; même pouvoir est alors donné à n’importe quel particulier qui, négligeant son propre salut, et sachant à quoi il s’expose, se dévouera au salut de sa patrie ».

Si public ! conventus facultas detur… monendus in primis princeps erit, atque ad sanitatem revocandus ; si medicinam respuat, neque spes ulla sanitatisrelinquatur, sententia pronuntiata licebit reipublicae ejus imperium detrectare primum, et, quoniam bellum necessario concitabitur, ejus defendendi consilia explieare… et, si res feret, neque aliter se rcsptiblica tueri j’ossit, principem, publicum hostem declaratum, ferro perimere. Eademque facultas esto cuieumque priva to, qui, spe impunitatis abjecta, neglecta sainte, in conatum juvandi rempublicam ingredi voluerit. (P. 75 sq.)

Déjà Mariana va plus loin que la plupart des ! théologiens de son Ordre-et de son époque, Suarez j et Bellarmin par exemple, qui n’admettent le meurtre du prince, même déposé et déclaré ennemi public, ([ne selon les lois de la guerre, ou en vertu d’un mandat donné par les représentants du peuple. Mais voici qui est plus grave encore L’auteur du De Rege se pose le cas où, par suite de la tyrannie du prince, les représentants du peuple ne pourraient se réunir pour le juger. Alors, si cette tyrannie est évidente, si l’opinion publique est unanime à ce sujet, « je ne voudrais pas condamner l’homme qui, répondant aux

vœux publics, tenterait de tuer ! tyrm » ; qui votis publicisfavenseum perimere lentarit, h-’.udquaquam inique eum fecisse existimabo (p. 77). Du reste, pour éviter l’illusion, facile en pareille matière, Mariana exige que la tyrannie soit évidente et reconnue de tous, et qu’avant d’agir celui qui se propose d’attenter à la vie du tyran prenne le conseil d’hommes de science et d’expérience. Neque est pericu-Ium ut multi eo exemplo in principum vitam sæviant quasi tyranni sint ; neque enim id in cujusquam privati arbitrio ponimus, non in multorum, nisi publica vox populi adsit, viri eruditi et graves in consilium adhibeantur (ibid.). Comme Jean de Salisbury, Mariana tient que l’usage du poison n’est pas licite contre le tyran, « car il est trop cruel de forcer un homme à se donner la mort lui-même » ; crudele existimamus eo adigere hominem ut sibi ipsi manus afferat (p. 8/J).

Cette doctrine, Mariana la présente comme fort discutée à son époque ; il essaie d’échapper à la condamnation portée par le Concile de Constance, en faisant remarquer que les papes ne l’ont pas confirmée et qu’elle vise des erreurs non enseignées par lui (p. 69, 70, 80).

Il examine l’acte de Jacques Clément mettant à mort Henri III, et l’apprécie ainsi : « insigne force d’âme, fait mémorable… le moine qui tua le roi acquit une grande réputation ; le meurtre fut vengé par le meurtre ; les mânes du duc de Guise perfidement mis à mort apaisés par le sang royal… La plupart ont vu en Jacques Clément une gloire éternelle de la France ; mais on ne s’accorde pas sur son acte ; beaucoup le louent et le jugent digne de l’immortalité ; d’autres, qui jouissent d’une grande réputation de prudence et d’érudition, le blâment. » — Insignem animi confidentiam, facinus memorabile… Cæso rege, ingens sibi nomen fecit ; cæde cædes expiata ; ac manibusGuisii ducis perlideperempti régis sanguine est parentatum (p. 68) ; aeternum Galliæ decus, ut plerisque visum est… de facto monachi non una opinio fuit ; multis laudantibus atque immortalitate dignum judicantibus, vitupérant alii, prudentiæ et eruditionis Iaude præstantes (p. 6g, 70). Bien que l’auteur du De liège ne donne pas ici son idée personnelle, il semble qu’il se range au nombre des admirateurs de Clément. Mariana juge Henri III comme on le jugeait alors autour de lui, en Espagne ; en réalité le malheureux prince était bien loin de réaliser ce type de tyran contre lequel seul le fougueux théologien permettait le tyrannicide.

Le De Rege parut avec l’approbation, non du général de l’ordre, Claude Acquaviva, mais d’un visiteur, Etienne Hajeda ; des « hommes doctes et graves de la Compagnie » avaient, après examen, donné leur « Nihil obstat ». Cette approbation du visiteur n’enlevait pas au livre de Mariana son caractère privé ; elle ne prouvait même pas qu’Hajeda et les réviseurs admettaient les thèses du De Rege, mais seulement que ces thèses ne leur paraissaient pas contraires à l’orthodoxie. Visiteurs et réviseurs, du reste, se montrèrent trop faciles, et manquèrent à leurs règles en permettant l’impression. En effet, le 4 i c décret de la cinquième Congrégation générale (1 5<j3- 1 5g4) était ainsi formulé : « Nemo in rébus alicujus momenti novas inducat quæstiones, nec opinionem ullam, quæ idonei ullius auctoris sit, iis qui præsunt inconsultis ». (Institutum Xoc. Jesu, t. ii, p. 273. Florentiae, 18g3). Or, c’était bien le cas pour plusieurs des propositions contenues dans le livre de Mariana. Après l’apparition de l’ouvrage, le général Acquaviva se plaignit avec raison que ce décret eut été méconnu. (Juvi.nc.ius, Historia Societatis Jesu, p. v, 1. XII, n » 87). Cf. E. Michabi. S. J., Die Jesui-