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PRÉCOLOMBIENS (AMÉRICAINS)

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partiennent retient les hommages des Peaux-Rouges. C’est au totem, autrement dit au fétiche particulier de cette même tribu, que va véritablement le culte du groupe, un cultedans lequel se trouvent confondus, selon toute vraisemblance, celui de l’être ou de l’objet choisi pour totem et le souvenir du fondateur de la tribu ou du clan, de celui qui portait le nom du totem et dont l’esprit demeure le génie protecteur de ses descendants. On sait quelle importance exagérée certains savantsont attribuée au totem ; on sait aussi combien plus de prudence et de réserve montrent à son sujet les ethnologues religieux d’aujourd’hui. Sans prétendre déterminer ici la limite dans laquelle il convient de se tenir à cet égard (ce serait sortirdu cadre decet article), constatons que le caractère religieux du totem se trouve marqué dans une foule de circonstances de la vie de l’individu et du groupe dont il fait partie : pardesprohibitions ou tabous de toute nature, par des cérémonies, des chants, des danses, des gestes particuliers, souvent même par le port d’un insigne distinclif. Constatons aussi que le ritualisme (on l’a indiqué très justement) est surtout remarquable chez les tribus du Canada et de l’Alaska méridional établies au long de la côte du Pacifique. Là plus jalousement « peut-être que partout ailleurs » (perhapt more thanelseuhere), le clan garde ses rites particuliers. Seul il exécute des cérémonies fondées sur eux, dans lesquelles il rend hommage aux ancêtres surnaturels du clan ; seul, il célèbre des cérémonies rituelles, qui ne sont guère autre chose que des représentations dramatiques. Les vrais héros de ces pièces y sont personnifiés par des monstres à forme animale, des masques dont remuent les yeux, les oreilles et la gueule.

Retrouve-t-on exactement les mêmes traits dans le continent américain du Sud ? Il ne le semble pas. Sans doute les tribus sauvages de cette partie du Nouveau Monde sont beaucoup moins connues que celles du Nord ; tout récemment encore, Clark Wisslbh, l’auteur de The American Indian (paru à New-York en 191^-8)devait avouer qu’au poinlde vue religieux, sur bien des parties de l’Amérique du Sud, nous sommes fort mal renseignés (ne hâve but meager information, p. 182). Néanmoins, force est de constater que tout au moins certaines tribus sud-américaines n’ont jamais eu de croyances ni de préoccupations religieuses très élevées. A un missionnaire qui lui montrait la beauté du ciel et qui lui demandait quel était l’auteur de ces merveilles, quelles étaient à ce sujet les croyances de ses ancêtres, voici ce que, dans la seconde moitié du xviu’siècle, répondait un cacique abiponedu Gran Chaco : « Nos ancêtres ne regardaient jamais que la terre pour y chercher l’eau et les pâturages dont leurs chevaux avaient besoin. Du ciel et de ce qui s’y passe, de celui qui crée et régit les astres, ils ne se souciaient en aucune façon. » (Dobrizhoffhr : Historia de Abiponibus, II, 71.) Même ignorance chez les Indiens contemporains du Chaco qu’ERLAND Nordbnskjôld a récemment étudiés, les Ashluslays et les Chorotis ;

« l’idée d’un grand Dieu tout-puissant leur est inconnue

». (/. « i/e des Indiens dans le Chaco, trad. Beuchat, p. 96 du tir. à part) De même, la conception d’un grand Dieu Tout-Puissant est étrangère à la religion des Chanés. (Id.. ibid., p. 229) Ce que l’on constate d’ordinaire dans l’Amérique du Sud, c’est un fétichisme aussi bas, sinon même moins élevé encore que celui des Indiens du Nord, des pratiques superstitieuses et rituelles très étroites, l’interdiction pour les femmes, sous peine de la mort, d’assister ux cérémonies religieuses ou même d’en voir certains accessoires, le portdes masques danscesmêmes cérémonies, un mélange de prières, de chants et de

danses parfois très compliquées, l’usage de la couvade, etc. On sait ce qu’est cette dernière coutume, si répandue et si singulière : aussitôt après son accouchement, la femme se lève, se lave, puis vaque à ses occupations ordinaires, tandis que l’homme se couche et, pendant un laps detempsplus ou moins long, — une lune chez les Roucouyennes du Yari, dans la Guj-ane brésilienne (D r Crevaux, in Hull. soc. Géogr., mai 1880, p. 356-357), — s’abstient de tout travail ; s’il ne le faisait pas, il arriverait malheur au nouveau-né ! … Notons aussi le rôle du sorcier ou de la sorcière, du féticheur si l’on préfère.

Nombre de ces traits se retrouvent dans les différentes pratiques superstitieuses qui accompagnent la préparation du poison (curare ou ourali des Indiens de la Guyane) dont les indigènes du bassin de l’Amazone se servent pour empoisonner leurs flèches. Croyance à la présence d’un esprit ou démon (supai chez les Canelos du Bobanaza) dans chacune des plantes utilisées pour la préparation du poison (de là le nom de supai hambi : médecine démoniaque, donné à celui-ci) ; interdiction à toute jeune fille, à toute femme et plus encore à toute femme enceinte, d’approcher du rancho dans lequel sont réunis les matériaux nécessaires à la préparation du poison et de celui dans lequel s’effectue cette préparation elle-même ; obligation pour les deux préparateurs, — des hommes d’âge ayant quelque connaissance des secrets du monde des esprits — de ne se servir quede vases absolument neufs, de ne procéder à la cuisson que la nuit, de n’utiliser pour la cuisson qu’un bois déterminé (celui du palmier), d’observer le jeûne et la continence, de ne consommer que certains aliments déterminés, de ne prononcer que les paroles strictement nécessaires, et seulement à voix basse, déchanter les conjurations des dieux desplantes vénéneuses, etc., que de traits remarquables ! Encore ne les citons-nous pas tous, et sans doute ne les connaissons-nous qu’incomplètement… Or, pour un épisode de la vie de ces Indiens qui a été à peu prèsétudic, combien d’autres dont nous ne savons rien, ou presque rien !

Reconnaissons donc franchement la nécessité de poursuivre activement, sur les croyances des peuples sauvages de l’Amérique du Sud, une enquête systématique, sans laquelle on se trouve dans l’incapacité de formuler sur le sujet des conclusions reposant sur une base solide.

Peut-être, le jour où cette enquête sera assez avancée y trouvera-t-on certains éléments capables de jeter quelque lumière sur la religion de ces Arawaks des Antilles, les Taïnos, sur lesquels Ramon Pane et Pibrrb Martyr d’Anghibra nous ont laissé de trop rares renseignements. Au témoignage de l’ « abbé de la Jamaïque », les dieux majeurs (entre autres celui du Ciel) n’étaient pas représentés par des images, tandis que d’autres, moins élevés, l’étaient par des idoles de pierre, tout au moins la déesse Guabancex, qui détermine les tempêtes et fait mouvoir le vent et l’eau ; quant aux génies protecteurs individuels, aux zémis, de petites statuettes de bois, de pierre, voire même de coton les figuraient. Ces quelques indications, si sommaires soient-elles, suffisent à montrer le caractère fétichiste de la religion des Taïnos, et ce que l’on sait de leurs sorciers, devins ou médecins, les bohutis ou butu-ilihiis, ce que l’on sait aussi de leurs cérémonies religieuses, tout confirme ce caractère.

3. N’a-t-il pasexisté toutefois, sur le continent américain, des populations ayant une religion plus élevée ? A côté de farouches sauvages, on y trouve des groupes d’une civilisation plus raffinée, marquant un progrès indéniable sur celles dont il vient d’être