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TYRANN’ICIDh

1886

Suarkz enseigne de même « qu’aucun particulier, ni même aucun pouvoir imparfait, n’a le droit de déclarer la guerre nu tyran de gouvernement ; ce serait, à proprement parler, une sédition… Mais l’ensemble des citoyens pout s’insurger les armes à la main contre ce misérable ; ulors il n’y a pas de sédition ; car, dans ce cas, le peuple est supérieur au prince ; c’est de lui que le prince tient son pouvoir et le peuple lui a coniii ce pouvoir pour le gouvernement politique, non pou la tyrannie ». Ccrta veritas est, contra hujusmodi tyrannum (quoad régi mon), nullam privât. un personam, aut potestntem imp. rfectam, posse juste movere hélium aggressivuui ; atque illud esset proprie seditio… Al vero Iota r « spublica posset bello insurgere contra ejusni. xli tyrannum, neque tune excitarelur propria sedilio…. Ratio est, quia tune tota respublica superior est rege ; nam emu ipsa dederit iih poteslalem. a c jnditione dédisse censetur, ut politice, non tyrannies regerel. Ds Bello, disp. xm ; sect. 8, n°J, t. XII, p. 769).

Suarcz, du reste, remarque ailleurs que la déposition d’un prince n’entraîne pas nécessairement le droit de prendre les armes contre lui ; ce droit ne peut résulter que d’une seconde sentence, metivée par la résistance du prince déposé ; entin ceux-là s ; uls peuvent l’exercer qui en ont reçu de la cornnauté maudat général particulier. (Defensio, VI, iv, 18, t. XXIV, p. 681).

On le voit ; les fameux principes de la Déclaration des droits de l’homme, qui font de la « résistance à ipression » un des « droits naturels et imprescriptibles de l’homme », et de l’a insurrection » contrele tyran « le plus sacré des devoirs », sont trop généraux et par là-mèine faux et dangereux ; mais appliqués seulement aux circonstances graves que les maîtres cités plus haut avaient en vue, ils auraient pu être admis par eux. — Voir ci-dessus, art. Révolution, col. 102a.

La doctrine de ces maîtres est-elle encore défendable a îjourd’hui, après la promulgation du Syllab us, dont la 63e proposition condamnée est celle-ci : « Il est permis de refuser l’obéissance aux princes légitimes, et mèaie de se révolter contre eux ». Legitimis principibus oboedientiam detrectare, immo et rebellare licet, D.H., 1763(16, 11). Certains le nient ; d’autres se montrent moins sévères (cf. Cathrkin, Moralphilosophie t. II, p. 66-i sq., Fribourg, 1899). Cette discussion est étrangère à l’explication des doctrines, trop souvent mal comprises, des anciens théologiens sur le tyrannicide. Cf. d’ailleurs, ci-dsssus, l’article Insurrection.

Il est encore à noter que ces théologiens, presque unanimement, reconnaissaient au Pape, comme conséquence de ses pouvoirs spirituels, un pouvoir indirect dans les matières temporelles. Lorsque la mauvaise administration d’un prince lèse gravement les intérêts de l’Eglise, et l’empêche d’accomplir sa mission, le Pape peut, d’après eux, si tout autre remède est inefficace, déposer ce prince, délier ses sujets de leur serment de li lélité, et charger ces sujets eux-mêmes, ou un autre souverain, de l’exécution de la sentence. (Cf. l’art. Pouvoir pontifical, col. io5 sqq.). Ces décisions pontificales, assez fréquentes au Moyen-Age, avaient pour suite nécessaire, lorsque le prince déposé refusait de s’y conformer, une guerre légitime de son peuple contre lui, avec toutes les conséquences qu’entraîne l’éîat de guerre. Bbllarmin, dans sa controverse avec le roi Jacques d’Angleterre, le mit au déii de citer un seul meurtre de souverain commandé par un Pape ; mais il ajouta : « Je parle d’un meurtre commis par des assassins, non de la mort d’un prince sur le champ de bataille, au cours

d’une guerre légitimement suscitée par un Pape », Bellariuimun non esse lociitum de cæde quæ in prælio aceidere potuisset, sed de parricidio quod per proditores ac sicarios patraretur. (Responsio ad ApoL, Opéra, t. XII, p. 23a. Paris, 1 8-6).

>) Droit des particuliers en face du tyran de gouvernement. — Quelques docteurs catholiques ont admis que les particuliers ont le droit, lorsque la tyrannie d’un souverain leur stmble évidente, d’attenter à sa vie. Cette doctrine dangereuse, et qui, au seizième siècle particulièrement, inspira plusieurs attentats, n’est le fait que d’un tout petit nombre, et l’Eglise l’a, plus d’une fois, réprouvée.

Le premier auteur chez lequel, semble-t-il, on la trouve clairement exprimée, est Juan du Salishury, au douzième siècle. Dans son Polycratieus, l. III, c. 15 sqq., ilenseigne, dans les termes les plus généraux, qu’il est non seulement licite, mais juste et équitable, de tuer un tyran…, qu’il est honorable de tuer un tyran, quand on ne peut s’en défaire autrement. .., que la Sainte Ecriture présente comme licite et glorieux le meurtre des tyrans publics ». Tyrannum occidere, non modo licitum est, sed aequum et justum… Semper lyranno licuit adulari ; licuit eum decipere ; et honestum fuit occidere, si tamen aliter coerceri non poterat… Auctoritale divinæ pagellae licitum et gloriosumest publicos tyrannos occidere. P.L., CIC ; 512, sq., 788, 793. Et pour lui, le tyran est « celui qui almse du pouvoir concédé par Dieu à l’homme » ; est enim tyrannisa Deo concessæ homini potestatis abusus (ibid., 786). Jean de Salisbury apporte cependant à sa doctrine plusieurs restrictions ; d’abord, le meurtre du tyran n’est autorisé que lorsqu’il n’existe aucun autre moyen de faire cesser la tyrannie ; il est interdit à ceux que des liens spéciaux (serment, charges de cour) attachent au tyran ; il ne peut s’opérer par empoisonnement (ibid., 788, 793, 796).

Trois siècles plus tard, le fameux théologien normand Jban Pbtit est plus brutal encore. Le 8 mars 1408, voulant justifier l’assassinat de Louis d’Orléans, commandé par Jean sans Peur, il soutint publiquement cette proposition : « Il est licite à un sujet de tuer, ou de faire tuer, un vassal félon à son prince, ou un perfide tyran ». Gbrson, qui, d’ailleurs, admettait le droit du peuple à la révolte dans les cas de nécessité, réfuta aussitôt cette doctrine. Elle fut condamnée en j 4 1 4 par l’évêque de Paris et l’inquisiteur. Enlin, à la quinzième session du Concile de Constance, la proposition suivante fut déclarée,

« erronée dans la foi et la discipline, hérétique, scandaleuse, 

ouvrant la voie à fraudes, déceptions, mensonges, trahisons et parjures » : « Tout tyran peut être tué licitement, et méritoiremenl, par qui que ce soit de ses vassaux et sujets, même par secrètes embûches, en dépit des serments ou engagements qui lieraient le sujet au tyran, sans attendre de sen-’tence, ou recevoir commission d’un juge. » Quilibet tyrannus potest et débet licite et meritorie occidi, per quemeumque vasallum suum vel subditum, etiam per clanculares insidias, et subtiles blanditias, etadulationes, non obstante quoeumque præstito juramento, seu confoederatione factis cum eo, nonexspectata sententia vel mandate judicis cujuscumque. D. B. n* 690. Cf. Hefkle (Histoire des conciles, trad. Delarc), t. X, p. 480 sqq., Paris, 187$). Tant de propositions étaient frappées à la fois par la sentence du concile, qu’on pouvait se demander si chacune d’elles, prise séparément, était inadmissible. Aussi le décret de Constance ne suffit pas, au siècle suivant, à arrêter les pires excès de certains théologiens de la Ligue. On peut prendre comme type l’ouvrage de Boucher, De justa Henrici II !