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TRINITÉ (LA SAINTE)

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A coup sûr d’autres travaux sont indépendants de ces préoccupations polémiques, et gardent aujourd’hui toute leur valeur, avant tout le De Trinitate de Petau. Mais ici on rencontre d’autres difficultés : les anténicéens ont été étudiés à deux reprises, d’abord, au livre 1 er, chapitres iii, iv et v, puis dans la préface, dont la composition est postérieure, mais dont la publication fut simultanée. Il suffit d’un coup d’oeil jeté sur ces deux éludes pour voir que leur orientation n’est pas la même : le premier livre est fort sévère aux anténicéens ; la préface leur est beaucoup plus favorable. Dans les controverses qui suivirent, Jurieu ne cessa de faire état du premier livre, Bossuet de lui opposer la préface’ ; et sans doute la préface était le dernier écrit et représentait la pensée définitive de l’auteur ; mais, d’autre part, on devait convenir que Pctau avait maintenu dans sa publication le texte primitif de son premier livre, tout en l’éclairant et en le corrigeant par sa préface. Mais chez Jurieu lui-même ne trouvait-on pas des corrections semblables ? Ce qu’il avait écrit en 1689 dans sa Sixième Lettre pastorale était corrigé par lui l’année suivante dans son Tableau du Socinian 15 me 2.

Plus près de nous, n’avons-nous pas vu un historien dont la compétence et la sincérité sont également indiscutables, Tixeront, modifier profondément, dans la septième édition de sa Théologie anténicétnne, les jugements qu’il avait auparavant portés sur la doctrine trinitaire des écrivains du deuxième et du troisième siècles ?

Si je rappelle ici ces rétractations, ce n’est certes pas pour en faire grief à leurs auteurs. Pour ne parler ici que de Petau et de Tixeront, ils ont eu le courage de reviser un premier jugement trop sévère ; leur œuvre y a gagné. Mais le souvenir de ces devanciers doit nous être présent pour nous avertir des difficultés de la tâche. Si les livres que nous devons étudier étaient d’une interprétation aisée, ils n’auraient pas soulevé tant de controverses ni rendu opportunes ces rétractations.

Les obscurités de ces écrits viennent parfois de la témérité de’eurs auteurs, hérétiques ou à demi engagés dans l’hérésie. C’est ainsi, par exemple, que se présente à nousTatien : son Discours aux Grecs, s’il n’est pas postérieur à sa défection, la fait du moins pressentir. Nous n’entreprendrons pas de le ramener malgré lui à l’Église qu’il va abandonner.

Les autres apologistes du second siècle se présentent à nous sous un jour tout différent : saint Justin, chef du didascalée de Rome et martyr ; saint Théophile, éveque d’Antioche ; Athénagore, personnellement inconnu, maisdont rien ne nous permet de suspecter l’attachement à l’Église. Les œuvres de ces trois écrivains manifestent en effet une foi sincère ; ou peut dire d’eux trois ce que Petau écrivait d’Athénagore : leurs déclarations suffisent à faire connaître le dogme de la Trinité et à renverser également l’hé np. nenl, jugea que, pour y répondre, il était absolument nécessaire de réfuter le Père Pelan, et c’est à quoi n’ont pas pris garde la plupart drs catholiques qui, ne connaissant point le dessein de Bullus, donnent à cet auteur des louanges excessives. » (Mémoires de Niceron (Paris, 1737), xxxvir, p. 156).

1. Jurieu, importuné de l’argumentation, répond : a Que nous importe après tout ce qu’a dit le Père Petau dans « a préface ? » et BûSSUET réplique : a Mais c’est le comble de l’injustice ; car c’est de même que s’il disait : Que nous importe, quand il s’agit de condamner un auteur, de lire ses derniers écrits, et de voira quoi à la fin il s’est tenu ? 11 (Sixième avertissement, n. 102).

2. Ro’rSUET en fit la remarque dans son Sixième avertissement, n. 69, en comparant la Pastorale, p. 43, avec ! Tableau, p. I P » 0.

résie d’Arius et celle de Sabellius. Chez eux comme chez tous les autres anténicéens qui appartiennent à l’Église, on voit affirmer et l’unité de Dieu et la trinité des personnes et la véritable génération du Fils, qui n’est pas une créature du Père, mais qui est né de sa propre subtance. Ce dogme capital est le fondement de la foi de Nicée ; les docteurs anténicéens le confessent unanimement.

Il faut reconnaître cependant chez eux plus d’une ambiguïté et, sur les points secondaires, des erreurs 1. Nous n’en serons pas surpris si nous nous rappelons que ces écrivains sont les premiers qui aient essayé de donner de la génération du Verbe un exposé théologique et, ce qui est plus important encore, qu’ils ont composé cet essai dans des ouvrages apologétiques destinés à des païens ou à des juifs. Dans le souci de gagner leurs lecteurs à la foi chrétienne, ils la leur proposent sous le jour où elle risque le n : oins de les surprendre ; ils l’encadrent dans des conceptions helléniques ou judaïques qui lui sont étrangères et parfois opposées ; ils saisissent tout ce qu’ils peuvent trouver chez ces gens de pressentiments, de désirs, de besoins religieux, et sans doute c’est une méthode légitime, et qui peut être féconde, mais qui a aussi ses dangers. Quand on part, comme le fait saint Justin en un passage, du verbe séminal des stoïciens pour conduire ses lecteurs jusqu’au Verbe de Dieu, il faut traverser un abîme ; saint Justin y parvient en effet, mais c’est en perdant de vue son point de départ. La distance n’est pas moindre entre le dogme chrétien de la génération du Verbe et la conception psychologique, familièreaux stoïciens, du tâyetàrStocfar&cet du ï<6yofn(nfopiK6ï, Saint Théophile essaie cependant d’éclairer l’un par l’autre : essai malheureux, et qui sera bientôt définitivement abandonné.

Si les apologistes tentent ces rapprochements, c’est qu’ils n’entendent donner du dogme qu’une ébauche lointaine, que la catéchèse ultérieure précisera. On remarque chez eux tous, sauf Justin, l’absence du Christ, de son incarnation, de sa mort sur la croix. Ce n’est pas certes que cesdogmes leur aient été indifférents ; mais c’est qu’ils les regardaient comme n’appartenant pas à la préparation chrétienne ; les néophytes en seraient instruits p’us tard, et aussi de l’Eglise, de ses sacrements, de sa liturgie. L’apolofiste ne prétend pas former des chrétier s, mais préparer les âmes à la foi, la leur faire désirer ; il n’est pas nécessaire pour cela de leur en donner une connaissance précise, il suffit de leur en faire saisir la grandeur et l’attrait. Ces visées des apologistes doivent être constamment présentes à notre esprit lorsque nous lisons leurs œuvres ; nous ne serons pas déconcertés par les lacunes de leur théologie, ni même par la forme souvent vague et flottante qu’ils donneront à leur exposé doctrinal’-.

On peut donner à ces remarques plus de certitude en comparant entre elles différentes œuvres d’un même écrivain, par exemple Y Apologie de saint Jus 1. C’ast le jugement que, dans sa préface, t, 12, Petau porte de ces trois apologistes : « communem rectninfjie fidein, et ut sæpius dico, substantiam ipsam dogmalis lenrnt s, in consectariis qtiibusdam nonnihil hb régula defleclunl. »

?. M. J. ItoBiNSON, étudiant, dans son édition de la Démonstration de saint Irénée (introduction, p. 57), la théologie de Théophile, explique les incertitudes d’expression qu’on trouve chez cet apologiste par le souci qu’il avait a » ne pas révéler trop explicitement à un païen le » mystères les plus sacrés du christianisme : « Ile writes so clearly when lie chooses, that we are almost forced to conclude that he is withnoldintr the fulUr doctrine with intcntionul reserve from one who persists in his beuthen betiefs. »