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PRAGMATISME

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n’a pas disparu, sans donner aucune assurance qu’il puisse être un jour supprimé.

Que la conscience religieuse ne témoigne pas de l’existence d’un Dieu infini, mais seulement d’un plus grand que nous, cela ne saurait être accepté comme une conclusion universellement valable. A s’en tenir à l’expérience pure, on trouve dans l’histoire des religions les croyances les plus diverses et des états mystiques, également variés, correspondant à ces croyances. Mais James est bien obligé de constater que, dans l’ensemble, l’expérience mystique est généralement orientée vers le panthéisme ; et lui-même, voulant définir la religion, du point de vue subjectif où il s’est placé, la considère comme un sentiment defoi tout pénétré d’absolu et d’éternité. On ne conçoit pas qu’un sentiment offrant ces caractères puisse se rattacher à l’idée d’un Dieu lini.

Mais en matière religieuse, moins qu’en toute autre, iwus ne pouvons nous borner à l’expérience pure. L’objet à atteindre est si élevé que ce moyen est ici d’un faible secours. James, d’ailleurs, ne s’en tient pas à son point de vue empirique ; il a senti la nécessité d’user de discernement à l’égard des expériences religieuses. Il le fait, à sa manière, avec des règles bien arbitraires ; mais il reconnaît la justesse du principe : Toute expérience n’est pas valable par cela seul qu’elle est une expérience. Ses préjugés philosophiques les mieux enracinés, ses instincts moraux, son bon sens, lui servent de pierre de touche pour apprécier la valeur des états mystiques. Mais, si parmi ces critères iigurent des éléments rationnels, d’autres relèvent de ses goûts personnels ; et, — la manière dont James en use suffit à le montrer, — en procédant ainsi, on tombe forcément dans l’arbitraire. Nous voyons ce philosophe rejeter dédaigneusement la sainteté de Marguerite-Marie en la qualifiant d’état théopathique, tout simplement parce que cet amour de Dieu par la charité, qui fait que l’àme tend à s’absorber dans la contemplation du bien suprême, lui paraît exagéré, qu’il y voit une sorte d’annihilation de la personnalité, une rupture complète avec les intérêts humains ; ce qui est tout à fait faux.

Il a procédé de la même façon à l’égard des attributs de Dieu, excluant les attributs métaphysiques et retenant les attributs moraux. Il ne s’est pas aperçu que les uns pouvaient, suivant notre manière de concevoir, être considérés comme les conditions des autres. Si Dieu n’était pas immuable, éternel, présent partout, il ne serait pas le Bien infini, l’Intelligence sans bornes, le Juge suprême des consciences. Et du point de vue pragmatiste même, ces attributs métaphysiques ne sont pas sans valeur, car ils peuvent avoir et ont réellement eu une profonde influence sur les âmes religieuses. Les progrès des sentiments d’adoration, d’humilité, par exemple, ne peuvent-ils se rattacher dans une certaine mesure, à ces attributs d’éternité, d’immensité, par où Dieu nous apparaît si élevé au-dessus de notre être changeant et éphémère ?

La question ne saurait donc et retranchée de la façon que les pragmatistes imaginent. L’essai, l’expérimentation employésseuls sont impuissants à imposer une conclusion, puisqu’ils doivent eux-mêmes êtrejugés d’après des principes. Ce qui importe avant tout, c’est donc d’établir d’abord l’existence de Dieu et ses attributs avec tous les moyens dont nous disposons, et, principalement, à la lumière de la raison ; puis, de chercher si Dieu s’est mis en rapport avec l’humanité, s’il lui a révélé ce qu’il attend d’elle. Une fois fixés sur la réalité de cette révélation et les moyens par lesquels Dieu la met à notre portée et la conserve intacte, nous avons alors des principes

sûrs pour juger de la valeur des expériences religieuses.

Les émotions ressenties, les forces qu’elles communiquent ne sont pas par elles-mêmes un indice certain que les croyances qui lesprovoquent portent sur des réalités. Une idée illusoire peut parfois ébranler tout l’être, le soulever d’un vigoureux élan. Comme, d’autre part, ces états surgissent des profondeurs obscures de la personnalité, il est difficile de savoir jusqu’à quel point le moi en est ou n’en est pas la cause. James trouve dans la théorie du subliminal un moyen d’établir la continuité entre Dieu et l’àme, de les unir dans l’intimité la plus étroite. Il y réussit trop bien, car il aboutit à une confusion où la divinité perd son caractère ; c’est l’homme lui-même qui devient un dieu, en mettant en œuvre des énergies dont il ne soupconnt.it pas d’abord la présence en lui-même. Nous retrouvons ici des vues analogues à celles que parait adopter M. Schiller : l’homme pourrait être appelé à se hausser jusqu’à la divinité, grâce à ses efforts répétés qui l’affranchiraient de toute vicissitude et l’établiraient dans un état d’équilibre parfait, d’activité qui serait perpétuelle, parce qu’elle serait souverainement harmonieuse. Théorie insoutenable, car on ne saurait concevoir une évolution où le parfait sortirait de l’imparfait sans l’action d’un Etre Premier qui en dirigerait le cours et la doterait de ses ressorts, et, d’autre part, l’Acte Pur est nécessairement unique. Ainsi, les idées auxquelles le pragmatisme fait appel n’apportent aucune explication satisfaisante de la nature de Dieu, de ses rapports avec le monde et des faits religieux ; de plus, elles apparaissent comme ne pouvant avoir d’influence profonde sur les âmes ni leur assurer les moyens de rester fermes dans l’épreuve et d’arriver à la paix et au bonheur où elles aspirent.

Bibliographie

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