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TRADITION CHRETIENNE DANS L’HISTOIRE

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tructif par les audaces et les défaillances mêmes du théologien autodidacte, [’Essai de Newman constitue, en somme, l’effort le plus original de la pensée moderne pour résoudre, selon les vues d’une réelle orthodoxie, l’antinomie apparente de ces deux termes : tradition, développement.

Dans un discours antérieur de deux ans à son Essai sur le développement delà doctrine chrétienne, Newman expliquait, par le caractère instinctif de la connaissance départie à l’Eglise naissante, le long travail des siècles, obligés de monnayer, selon les catégories de l’entendement humain, ces impressions concrètes de réalités transcendantes (Discours prononcé à Oxford le jour de la Purification 1843, § 20 sqq. On peut le lire en français chez M. H. Brbhono : Newman, le développement du dogme chrétien, 4e édition, Paris, 1906).

Ce que Newman encore protestant avait aperçu et posé en thèse générale, le R. P. Bainvbl le rendait sensible naguère dans un exemple concret, en expliquant la genèse de la croyance catholique à l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge (Histoire d’un Dogme ; Etudes, 5décembre 1904, p. 6 12-63a). L’exemple ne saurait être mieux choisi pour montrer à l’œuvre une tradition vivante, partie en quelque sorte de rien, pour aboutir, de nos jours seulement, à la définition d’un dogme dont les premiers siècles chrétiens ne soupçonnèrent pas l’énoncé.

Après avoir constaté le silence des Pères sur le point précis du dogme, et l’opposition des grands docteurs du douzième et du treizième siècle à une assertion qui ne se produisit dans l’Ecole que pour y être aussitôt combattue, il fait toucher du doigt, dès l’origine de l’Eglise, ce sens cbrétien, destiné à prévaloir sur l’opinion savante, qui ne cessa d’attribuer à Marie la plus grande pureté possible après Dieu. Fruit d’une intuition directe sur les mystères du Christ, dont les témoins de sa vie durent être favorisés, intuition directe dont l’Ecriture n’a pas consacré le souvenir, mais que la conscience de l’Eglise garda jalousement. Les Pères les plus pieux et les plus doctes en rendent témoignage, sans être capables d’en analyser le contenu : pendant des siècles, ils redisent, avec une monotonie sublime, les louanges de l’incomparable Vierge, et ainsi préparent les voies, bien qu’à leur insu, à cette élaboration scolaslique du dogme, dont la renommée attribue l’initiative à un illustre enfant de saint François. Un jour la conscience de l’Eglise universelle, interrogée par Pie IX, rendra témoignage unanime de sa croyance : l’heure sera venue de la définition solennelle.

Si vous insistez pour savoir plus précisément comment et sous quelle forme a été révélé de Dieu le dogme de l’Immaculée Conception, quel fut le mode de cette intuition, l’auteur essaiera de lever le voile :

« Au lieu de dire : « Marie est toute pure et sainte », 

Dieu la montre… Il est probable que c’est ainsi que Dieu a fait connaître à son Eglise les privilèges de Marie… A peu près comme si les apôtres, au jour de la Pentecôte, en recevant le même Esprit que Marie, avaient vu à la lumière de ce divin Esprit tout ce qu’il avait fait en Marie ; ou comme si saint Paul, ravi au troisième ciel, avait vu en Dieule plan de l’Incarnation, la personne de Jésus et la personne de Marie, et avec la personne son rôle et tous ses privilèges. L’Eglise garderait dans sa conscience obscure le souvenir de cette vision de la réalité, et c’est de ce

le même plan que les enseignements apostoliques. N’insistons pas sur le caractère personnel d’une terminologie parfois inadéquate aux réalités qu’elle veut traduire et rendant plus dramatique l’effort de l’auteur pour étreindre l’idée.

fond qu’émergeraient tour à tour devant sa conscience réfléchie les vérités dont elle prend peu à peu possession. »

Ceci encore est une intuition. Intuition du théologien, pour qui la foi prolonge les perspectives de l’histoire, selon le sens le plus exact de la tradition chrétienne. Je ne sais s’il en faut louer davantage la profondeur, la justesse ou la piété.

L’impression directe des choses divines, par où vraisemblablement Dieu consomma l’éducation surnaturelle des Apôtres, est en réalité le dernier mot de la théologie sur la genèse mystérieuse de quelques-uns de nos dogmes.

Là, nous atteignons la source de traditions obscures, dont le jaillissement se dérobe au regard de l’historien, mais dont la nappe transparente s’étale aujourd’hui à nos yeux.

Cette lumière, donnée une fois pour toutes à l’Eglise, a pu être pendant des siècles voilée au regard des générations croyantes, non pas sans doute quant aux dogmes fondamentaux du « hristianisme, mais quant aux lointaines conséquences. Il appartient au Saint-Esprit d’en raviver l’impression ; la reconnaître peut être un don accordé aux âmes éclairées de Dieu, habituées à juger des choses de la foi par une certaine « connaturalité », selon l’expression chère à saint Thomas, II » II » e, q. 45 a. a et 4- Ce discernement appartient au don de sagesse, selon le même saint docteur, In III d., 35 q. 2 a. 1 sol. ad i m : Sicut se habet sapientia, quæ est virtus intellectualis, ad intelleitum principiorum, quia quodammodo comprehendit ipsum, … ita se habet sapientia, quæ est donum, ad fidem t quæ est cognitio simplex articulorum, quæ sunl principia tolius christianæ sapientiae. Procedit enim sapientiæ donum ad quandam deiformem contemplationem et quodammodo explicitam articulorum, quæ fides sub quodam modo involuto tenet secundum humanum modum.

De ce point de vue, s’éclairent les antinomies apparentes entre la foi des générations nouvelles et l’histoire ancienne des dogmes ; antinomies que ne saurait résoudre une critique incroyante. Il faut renoncer à montrer au rationaliste, dans le passé de l’Eglise, la foi au magistère infaillible du Pontife Romain ou la foi à l’Immaculée-Conception. Mais le fidèle ne consent pas pour autant à voir dans une définition dogmatique de l’Eglise l’escamotage d’une nouveauté ; et il récuse le jugement porté du dehors sur l’Eglise, par des hommes qui n’entendent pas le mystère de sa vie.

La Tradition catholique, considérée dans ses manifestations actives, est une fonction vitale de l’Eglise, organisme social et surnaturel ; fonction vitale aussi impossible à étudier en dehors de l’Eglise qui la porte, que les opérations de la vie organique en dehors des corps vivants. Aussi les rationalistes qui refont l’anatomie du passé chrétien et, parce qu’ils n’y découvrent pas les dogmes récents, dénoncent comme un tour de passe-passe leur inscription au symbole, méconnaissent le jugement de l’Eglise sur son propre passé. L’Eglise possède, pour interroger le dépôt révélé, un sens incommunicable ; aucune enquête historique n’y peut suppléer. Le dépôt ne se révèle avec certitude qu’à la conscience de l’Eglise, assistée de l’Esprit-Saint pour définir sa foi publique.

Ce que nous indiquons a été exposé beaucoup mieux et plus complètement par le R. P. Léonce dk Grandmaison dans une série d’articles donnés à la Revue Pratique d’Apologétique en 1908, sur le Développement du dogme chrétien. Ils viennent d’être réunis en volume sous ce titre : Le Dogme chrétien. Paris, Beauchesne, 1928.