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TRADITION CHRÉTIENNE DANS L’HISTOIRE

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déjà la réponse. La formule dans laquelle il la résumait d’avance : « La vérité catholique, venue de Dieu, a d’abord sa perfection », demande à être bien entendue ; car si la perfection de la révélation divine était d’abord dans l’Eglise, elle y était enveloppée dans la lettre des Ecritures et dans les premiers bégaiements de la Tradition orale ; il fallut des siècles de controverses pour la mettre en pleine valeur et produire des énoncés dogmatiques sûrs et précis.

L’argumentation de Bossuet trahit, çà et là, une conception quelque peu statique et simpliste’le l’histoire des dogmes, et réduit parfois à un pur enchaînement de formules de très réelles évolutions de concepts. La tournure autoritaire de son génie le portait à presser les textes, jusqu’à leur faire rendre parfois plus de vérité qu’ils n’en contiennent à l’état distinct ; le raccourci où il présente le témoignage des Pères dissimule des nuances fort appréciables. Mais ce que nous perdons en vérité de détail, nous le gagnons en relief d’ensemble.

Revenant à l’examen de la Réforme, Bossuet oppose au verbiage infini, dont elle a coutume d’envelopper ses erreurs, la brièveté simple et lumineuse des délinitions de l’Eglise :

On peut voir, par ces décisions, avec quelle brièveté, avec quelle précision, avec quelle uniformité l’Eglise s’explique. Les hérétiques, qui cherchent leur foi, vont à tâtons et varient. L’Eglise, qui porte toujours sa foi toute formée dans son cœur, ne cherche qu’à l’expliquer sans embarras et sans équivoques : c’est pourquoi ses décisions ne sont jamais chargées de beaucoup de paroles. Au reste, comme elle envisage sans s’étonner les difficultés les plus hautes, elle les propose sans ménagement, assurée de trouver dans ses enfants un esprit toujours prêt à se captiver, et uie docilité toujours capable de tout le poids du secret divin. Les hérétiques, qui cherchent à soulager le sons humain et la partie animale où le secret de Oieu ne peut entrer, se tourmentent à tourner 1 Ecriture sainte à leur mode. L’Eglise ne songe, ai contraire, qui la prendre simplement…

Bossuet a rendu sensible le contraste profond de deux esprits, de deux doctrines, de deux sociétés : il conclut légitimement :

Les variations de la Réforme nous ont fait vo’r ce qu’olle était, c’est-à-dire un royaume désuni, divisé contre lui-même, et qui doit tomber tôt ou tard ; pendant quo l’Eglise catholique, immuablement attachée aux décrets une fois prononcés, sans qu’on y puisse montrer la moindre variation depuis l’origine du christianisme, se fait voir une Eglise bâtie sur la pierre, toujours assurée d elle-même, on plutôt des promesses qu’elle a reçues, ferme dons ses principes, et guidée par un esprit qui ne se dément jamais.

VIII. L’école traditionaliste. — Au sortir des ruines accumulées par la Révolution française, la religion catholique apparut, plus que jamais, comme le seul point ferme en Europe. Bonaparte lui-même avait senti le besoin d’y appuyer le trône impérial ; la monarchie des Bourbons, qui restaurait tout le passé, devait, ne fût-ce que par instinct de conservation, s’attacher à l’autel. Le Génie du Christianisme avait étonné une génération sceptique en lui révélant, au fond du culte de ses pères, une source ignorée d’inspiration et de poésie. Tout semblait présager un renouveau des institutions chrétiennes, et l’antique vertu de la foi traditionnelle se mani- % festa dans le domaine de l’esprit par l’effort de nobles penseurs pour ressaisir dans, la vie même et l’histoire des peuples, le secret de leurs destinées providentielles.

Initiateurs de ce mouvement 1, Maistrr, Bonald,

1 Nous prenons nMre point de vue en France ; mais un mouvement parallèle existait dans d’autres pa)-s. On connaît les beaux livres de M. Thukeau-Da.ngin sur la Renaissance catholique en Angleterre au XIX* siècle, et de M. GoYAU sur l’Allemagne religieuse.

L.v Mkn.nais confessèrent tour à tour la vertu sociale de l’Evangile. Ces voix viriles et vibrantes émurent le siècle ; si elles ne réussirent pas à dominer le tumulte, du moins ramenèrent-elles, pour un instant, les esprit à l’école du passé chrétien, et, à la société tille de la Révolution, firent entendre des leçons d’un autre âge.

Tous les trois hommes d’ordre et d’autorité, d’accord pour voir dans le catholicisme, avant tout, un gouvernement des âmes, et pour prendre le contrepied de l’individualisme issu du Contrat social, catholiques eux-mêmes, de fait et d’instinct, par l’acceptation spontanée des formes hiérarchiques de l’Eglise, ils se rencontrèrent dans un ultramonlanisme décidé, qui renouait la chaîne du christianisme traditionnel, plus ou moins rompue par le gallicanisme. Ils combattirent donc le même combat, Maistre avec des ressources d’esprit égales à la générosité de son grand cœur, Bonald avec une droiture quelque peu raide, La Mennaisavecl’àpreté maladive d’une nature violente et enfiévrée par l’orgueil. A force d’exalter le rôle social de l’Eglise, les deux derniers déprécièrent outre mesure l’exercice de la raison individuelle au regard des vérités du salut : Bonald en faisant dériver d’une révélation divine toute l’éducation de l’humanité, La Mennais en invoquant comme critère de toute certitude le verdict de la raison générale, opposèrent à l’émancipation du sens personnel un excès contraire, et l’outrance de tels principes mit l’infortuné La Mennais sur une pente où il. ne sut point s’arrêter.

L’Eglise condamna ce traditionalisme radical : une fois de plus s’aflirma dans les faits la condition vitale de la pensée chrétienne, inséparable de l’institution qui l’incarne à travers les siècles. Quand plus tard Bautain, puis Bonnetty, reprenant le même courant d’idées, jetèrent le discrédit sur les plus réelles conquêtes de la raison humaine, Rome intervint de nouveau. Thèses souscrites par Bautain 8 sept. 1840, D.B., 1622-1627(1^8-1493) ; décret de la S. Congrégation de l’Index contre Bonnetty, Il juin 1855, D. B., 16’19-1652 (1505-1508). Cependant l’esprit d’ordre et d’autorité, earactéristique des défenseurs de la tradition, devait ajouter mainte page lumineuse à l’histoire du dix-neuvième siècle.

Ce réalisme chrétien, qu’un bienfaisant atavisme fait reparaître dans toute génération pensante, on l’a vu à l’œuvre chez des croyants, trop bien instruits des limites essentielles du savoir humain pour ne pas se tourner, dociles, vers l’Eglise, afin d’en recevoir le supplément de lumière que réclame leur raison. On l’a vu à l’œuvre même chez des incrédules, esprits sincères qui cherchent leur voie à travers le conflit des opinions humaines, et dont quelques-uns, à force de droiture, conquirent pièce par pièce l’armure entière de la foi. Au terme d’une enquête sur la condition des ouvriers européens, Le Play rencontre la divinité du Décalogue, et il la proclame. En méditant sur la vie des sociétés, Buunrtièrb comprend que l’Evangile en est le principe nécessaire, et il adhère à la vertu de l’Evangile.

Plusieurs, il est vrai, s’arrêtent en chemin ; mais leur défaillance même témoigne de l’ascension commencée par leur esprit. Bien qu’étranger à nos croyances, Auguste Comtk n’hésita pas à saluer, dans l’organisation sociale du système catholique au moyen âge, le plus grand chef-d’œuvre politique de la sagesse humaine. Etudiant les origines de la France contemporaine, Tainr vit le christianisme resplendir d’une lumière qui l’étonna. Ces philosophes avaient le sens de la tradition. D’ailleurs, la logique du positivisme ne suffit pas à tirer, même des meilleures prémisses, une conclusion chrétienne.