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TRADITION CHRÉTIENNE DANS L’HISTOIRE

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et les sacrements, et c’est une telle Eglise qui est proprement la colonne de la vérité. » Les articles de Smalcalde, souscrits par Luther et tout le parti luthérien, renouvellent la même profession de foi, en l’appuyant sur la parole évangélique : Sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. C’est donc là une doctrine proprement luthérienne, maintes fois reproduite par des actes officiels. Néanmoins, du vivant même de Luther, on voit poindre, dans les confessions émises par l’Eglise de Saxe et par l’Eglise de Bohême, l’embarras de concilier la visibilité essentielle à l’Eglise du Christ avec les divergences manifestes entre tous ceux qui prétendent au nom de chrétiens.

En même temps que la confession d’Augsbourg, une autre confession avait été présentée à Charles-Quint par l’autre parti de la Réforme : c’est la Confession de Strasbourg, conçue du même point de vue. L’Eglise y est définie : « la société de ceux qui se sont enrôlés dans la milice de Jésus-Christ, parmi lesquels se mêlent beaucoup d’hypocrites ». A cette date, on ne songeait guère à transiger sur la visibilité de l’Eglise. Mais l’embarras était de trouver, hors du catholicisme, une Eglise et un ministère où se fût conservée jusqu’à ce jour la vérité de l’Evangile. Impuissantes à résoudre ce problème, les Eglises réformées de France, de Suisse et de Belgique en vinrent peu à peu à tempérer la conception de l’Eglise visible par celle d’un petit noyau, invisible aux yeux du vulgaire, où se conserve la pure semence de la doctrine et des sacrements. Celte idée nouvelle devint naturellement le recours de tous ceux qu’importunait l’inéluctable présence de l’Eglise catholique.

Mais on ne pouvait rendre cette idée acceptable qu’en attribuant gratuitement aux auteurs de la Réforme une mission extraordinaire reçue d’en haut, pour rétablir parmi les chrétiens la pureté de l’Evangile. Aux difficultés d une telle supposition, s’ajoutait celle de désigner, pour les temps antérieurs à la Réforme, les traces d’une Eglise visible, en dehors de la communion romaine. De guerre lasse, les protestants du dix-septième siècle en vinrent souvent à reconnaître les titres de l’Eglise romaine : mais pour sauver leurs théories, ils n’imaginèrent rien de mieux que de mettre les diverses confessions dissidentes sur le même pied que l’Eglise mère : et l’on représenta le royaume du Christ comme un royaume divisé, à l’égal du royaume de Satan. Telle était l’idée contre laquelle Bossuet s’éleva de toute sa force : selon Jurieu, l’Eglise du Christ embrassait dans une vague unité toutes les confessions chrétiennes, fussent-elles animées les unes contre les autres

« jusqu’aux épées tirées ».

Jurieu n’était pas le premier à proposer cette nouvelle théorie : la gloire de l’invention appartient aux sociniens, qui avaient poussé à bout les principes de la Réforme et, en éliminant dogme après dogme, jusqu’à la divinité de Jésus-Christ inclusivement, amené leur déisme évangélique au suprême degré de simplicité. L’aboutissement fatal du mouvement d’émancipation lancé par Luther ne laissait pas d’effrayer bien des esprits, au sein même du protestantisme. Bossuet se prévaut justement de ce désordre :

« Telles sont les absurdités du nouveau système : 

on ne s’y jette pas volontairement, on ne prend pas plaisir à se rendre soi-même ridicule en avançant de tels paradoxes. Mais c’est qu’un abîme en attire un autre : on ne tombe dans ces excès que pour se sauver d’autres excès où l’on était déjà tombé. »

En soustrayant à la foi tout appui autre que l’Ecriture interprétée par le sens personnel, la

Réforme avait inauguré le règne de la fantaisie, ou plutôt livré à l’anarchie le canon même des Ecritures et l’exégèse.

Les ministres établissaient autrefois la foi par les Ecritures j ils composent maintenant la foi sans les Ecritures. On disait dans la confession de foi, en parlant de l’Ecriture, que toutes choses doivent être examinées, réglées et réformées selon elle : maintenant, ce n’est pas le sentiment qu’on a des choses qui doit être éprouve par l’Ecriture, mais l’Ecriture elle-même n’est connue ni sentie pour Ecriture que par le sentiment qu’on a des choses avant que de connaître les saints livres, et la religion est formée sans eux.

On regardait, et avec raison, comme un fanatisme et comme un moyen de tromper, ce témoignage du Saint-Esprit qu’on croyait avoir sur les saints livres, pour les discerner d’avec les autres ; parce que, ce témoignage n’étant attaché à aucune preuve positive, il n’y avait personne qui ne put, ou s’en vanter sans raison, ou même se l’imaginer sans fondement. Mais, maintenant, voici bien pis : au lieu qu’on disait autrefois : Voyons ce qui est écrit, et puis nous croirons, ce qui était du moins commencer par quelque chose de positif et par un fait constant, maintenant on commence par sentir les choses en elles-mjmes, comme on sent le froid et le chaud, le doux et l’amer ; et Dieu sait, quand on vient à lire 1 Ecriture sainte en cette disposition, avec quelle facilité on lu tourne à ce qu’on tient déjà pour aussi certain que ce qu’on a vu de ses deux yeux et touché de ses deux mains !

Avec une logique inexorable, l’apologiste catholique pousse sa pointe dans une page qui n’a pas perdu toute actualité.

On peut feindre ou imaginer qu’on est inspiré de Dieu, sans qu’on lo soit en eil’et ; mais on ne peut pas feindre ni imaginer que la mer se fende, que la terre s’ouvre, que df s morts ressuscitent, que des aveugles-nés reçoivent la vue ; qu’on lise une telle chose dans un livre, et que tel s et tels qui nous ont précédés dans la foi l’aient ainsi entendue, que toute l’Eglise croie et qu’elle ait toujours cru ainsi. Il s agit donc de savoir, non pas si ces moyens extérieurs sont sullisanls sans la grâce et sans l’inspiration divine, car per.soniie ne le prétend ; mais si, pour empêcher les hommes de feindre ou d’imaginer une inspiralion, ce n’a pas été l’ordre de Dieu et sa conduite ordinaire de faire marcher son inspiration avec certains moyens de fait que les hommes ne puissent ni feindre en l’air sans être convaincus de faux, ni imaginer par illusion. Ce n’est pas ici le lieu de déterminer quels sont ces faits, quels sont ces moyens extérieurs, quels sont ces motifs de croyance…

La question est de savoir si l’autorité de l’Eglise, qui, jointe à la grâeo de Dieu, est un motif suftisanl et la plus sure de toutes les règles sur certaines questions, ne le peut pas être en toutes ; et si mettre une inspiration détachée de tous moyens extérieurs, et dont on so donne soimême et son propre sentiment pour caution à soi et aux autres, n’est pas le plus assuré de tous les moyens qu’on puisse fournir aux trompeurs, et la plus sure illusion pour outrer les entêtés.

Il semble difficile de marquer plus fortement le vice et la vanité des essais de religion autonome.

L’audace du radicalisme socinien, qui affichait la prétention de restaurer le christianisme primitif, et, pour soutenir ce rôle, défigurait outrageusement la pensée des Pères, souleva des protestations dans les rangs de la Réforme elle-même. L’anglican Geohob Bull, entre autres, combattit contre les sociniens pour l’orthodoxie de Nicée (I)e(ensio fidei A’icænae, Oxford, iG85). Bossuet applaudit à une entreprise, dont il n’avait pas prévu tout le développement. Car en revendiquant pour les premiers Pères une orthodoxie exempte de défaillances, le docteur anglican dressait une machine de guerre contre l’Eglise catholique elle-même. Aussi bien avait-il dépassé la mesure ; et nous n’entendons pas nier que Bossuet lui-même la dépassa quelquefois. Il ne se fait pas faute d’interroger l’antiquité chrétienne avec une rigueur quelque peu impérieuse, en homme qui tient