Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/887

Cette page n’a pas encore été corrigée

1761

TRADITION CHRÉTIENNE DANS L’HISTOIRE

1762

docteurs ? En ce cas, elle ne serait plus le trésor unique de lu science divine, héritée des Apôtres. Ses mystères exigent le secret ; l’Eglise, qui interdisait aux catéchumènes l’accès de la liturgie eucharistique, aurait-elle livré d’un seul coupa la curiosité profane toute sa doctrine avec le recueil des Ecritures ?

Pour la recherche des vraies traditions, Bellarmin propose cinq critères (c. ix). Doit être considérée comme remontant aux Apôtres, bien que dépourvue d’attestation scripturaire : i° toute doctrine embrassée par l’Eglise universelle comme dogme de foi : ainsi la perpétuelle virginité de Marie, le nombre des livres canoniques, et autres points semblables ; 2° toute pratique observée par l’Eglise universelle et qui n’a pu être instituée par Dieu : ainsi le baptême des enfants, l’approbation donnée au baptême des hérétiques ; 3° toute pratique observée constamment par l’Eglise universelle depuis ses origines, fût-elle d’institution humaine : ainsi le jeune quadragésimal, la distinction des ordres mineurs ; 4° toute pratique donnée comme de tradition apostolique par toute l’Eglise enseignante, soit réunie en concile, soit représentée par le sentiment privé des docteurs : ainsi le culte des images, le rite du baptême, le jeûne quadragésimal ; 5° toute doctrine tenue pour tradition apostolique dans les Eglises où s’est perpétuée sans interruption la légitime succession des Apôtres. Ce dernier critère, déjà proposé par saint Irénée et Tertullien, n’a rien perdu de sa valeur, mais l’application a changé. En effet, durant les premiers siècles, il ne manquait pas d’Eglises où se conservait la succession ininterrompue d’un Apôtre : telles étaient Rome, Ephèse, Corinthe, Anlioche, Alexandrie, Jérusalem, d’autres encore : aussi Tertullien adressait-il à l’une quelconque de ces Eglises apostoliques le chrétien en quête de tradition primitive, et l’empereur Théodose recommandait encore, comme expression de la foi authentique sur la Trinité, la foi enseignée alors par Damase à Rome et par Pierre à Alexandrie : c'étaient les deux pontifes des Eglises principales. Il n’en est plus de même aujourd’hui : l’Eglise de Rome seule peut montrer avec certitude une succession de pontifes ininterrompue depuis les Apôtres. Et ce privilège assure au seul témoignage de cette Eglise une valeur décisive en matière de doctrine ou de liturgie.

La précision supérieure de ces règles permet de mesurer l'étendue des progrès accomplis par la théologie de la tradition durant les années qui suivirent immédiatement le concile de Trente. Sans doute, il y aurait lieu de distinguer, ici encore, entre la doctrine et l’histoire, entre les principes dogmatiques posés par Bellarmin et l’application qu’il en fait à tel cas particulier. Le recours à certaines décrétâtes, dont on ne soupçonnait pas alors le caractère apocryphe, a pu l’induire en des erreurs historiques. ail ces questions de fait n’atteignent pas la valeur essentielle du chef-d'œuvre théologique de Bellarmin, destiné à demeurer durant plus d’un siècle le grand arsenal du catholicisme contre les attaques des protestants. — Voir le bel ouvrage du R. P. James Brodrick S. J., The Life and Works of Blesscd Robert Francis Cardinal Bcllarmine, S../., 2 vol., London, 1928, notamment vol. I, ch. vin et

IX.

VII Le XVIIe siècle français. — Un siècle et demi d’expansion n’avait pas épuisé le premier élan de la Réforme, mais lui avait fourni mainte occasion de se réformer elle-même. En regard des métamorphoses perpétuelles de l’hérésie, le catholicisme ne cessait d’allirmer l’immutabilité de ses propres dog Tome IV.

mes. Le règne de Louis XIV nous a légué toute une littérature théologique, d’inspiration essentiellement traditionnelle, qui manifeste avec éclat le contraste de l’enseignement héréditaire avec les dogmes nouveaux. Des écoles fortdiverses y sont représentées ; les noms de Sirmo^d et de Pbtau, de Hubt et de Tbomassin marquent, au sein du catholicisme, des courants bien distincts ; Port-Royal même, enclin aux opinions quasi protestantes au sujet de la justification, maintient sur d’autres points la pure tradition chrétienne, et verse au fleuve de la doctrine commune son aflluent très notable ; le livre de la Perpétuité de la foyde l’Eglise catholique sur l’eucharistie restera la solide gloire des Nicolb et des Arnauld. Mais nul ne se signala dans la controverse protestante par des services plus durables et ne mit dans une plus belle lumière la transcendance de la foi romaine que l’illustre évêque de Meaux. Les luttes qu’il soutint contre les ministres Claude et Jurieu avaient pour enjeu l’avenir de bien des croyants ; leur retentissement dure encore. Il faut étudier de près cet épisode grandiose où la cause de l’antiq 1 ité chrétienne fut défendue avec une rare éloquence. Pour la première fois, à la langue de l’Eglise succède le français, arme neuve forgée par des docteurs sur l’enclume théologique.

Dès la préface de l’Histoire des Variations (1688), Bossubt pose hardiment sa thèse :

La vérité catholique, venue de Dieu, a d’abord sa perfection : l’hérésie, faible production de l’esprit humain, ne se peut faire que par pièces mal assorties. Pendant qu’on veut renverser, contre le précepte du Sage, tes ancienne^ bornes postes par nos pères (Prov., xvii, 28) et réformer la doctrine une fois reçue parmi les fidèles, on s’engage sans bien pénétrer toutes les suites de ce qu’on avance. Ce qu’une fausse lueur avait fait hasarder au commencement, se trouve avoir des inconvénients qui obligent les réformateurs à se réformer tous les jours ; de sorte qu’ils ne peuvent dire quand finiront les innovations, ni jamais se contenter eux-mêmes.

Le premier geste de la Réforme avait été une révolte contre la doctrine traditionnelle sur la justification ; le second fut une protestation contre la présence réelle de Jésus-Christ dans l’Eucharistie. La théorie luthérienne de la justice imputée servit à consommer la rupture avec l’Eglise romaine : la théorie zwinglienne du sens figure prépara le morcellement de la Réforme elle-même en plusieurs tronçons.

Bossuet poursuit le développement et le conflit de ces idées à travers quatorze livres de son magistral ouvrage ; dans le quinzième et dernier, il met la hache à la racine de l’arbre protestant, et montre dans la méconnaissance de l’Eglise et de son autorité divine le principe de l’instabilité hérétique, dans l’adhésion ferme à cette autorité le principe de la stabilité catholique.

La visibilité de l’Eglise, une et indéfectible, est si clairement marquée dans l’Ecriture, que les ancêtres de la Réforme ne purent s’y tromper, et en consignèrent l’allirmation expresse dans la Confession d’Augsbourg, Cette première charte de la Réforme, présentée à Charles-Quint en 1530, assigne comme caractères essentiels à l’Eglise, assemblée des saints, le bon enseignement de l’Evangile et la bonne administration des Sacrements. Dans l' Apologie de la Confession d’Augsbourg, le premier lieutenant de Luther, Mélanchthon, précise encore : * Nous n’avons pas rêvé que l’Eglise soit la cité de Platon (qu’on ne trouve point sur la terre) ; nous disons que l’Eglise existe, qu’il y a de vr ; iis croyants et de vrais justes répandus par tout l’unir vers ; nous y ajoutons les marques, l’Evangile pur

56