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TRADITION CHRÉTIENNE DANS L’HISTOIRE

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vivants ; et c’est pourquoi il est permis de parler de la vie du Jogme. N’urgeons pas le parallélisme, car tous ne tarderions pas à constater d’importantes différences entre la végétation d’une substance corporelle et celle de l’idée divine dans l’Eglise. Il n’en est pas moins vrai que l’avènement de cette conception marque une date dans l’histoire de la théologie : car elle atteste l’effort de la pensée chrétienne pour (’treindre, de plus près qu’on ne l’avait encore l’ait, le mystère du progrès dogmatique, et elle assure au moine de Lérins une place à part entre les Pères qui, non contents de nous transmettre intact le dépôt de la révélation, le fécondèrent par leurs réflexions propres, et tirent passer dans leur christianisme quelque chose de leur âme et de leur vie. — Rappelons que le R. P. A. db la Barre consacrait naguère au volume à la Vie du Dogme. Autorité. Evolution. Paris, 1898.

V. Avènement de la scolastique. — Vincent de Lérins avait enfermé les destinées du dogme chrétien dans uneforinule quasidéfinitive ; les siècles suivants, qui paraissent avoir peu connu le Commonilorium, redirent parfois la même chose en moins bons termes ; surtout ils contribuèrent à remplir le cadre tracé d’avance, selon que le mouvement des controverses obligeait d’éclairer davantage telle ou telle face de la vérité.

Durant la période des grands conciles, la préoccupation dominante des Pères orthodoxes, gardiens vigilants de la foi, devait être d’empêcher qu’on remit en question les décisions de l’Eglise. Munies d’anathèmes redoutables, ces décisions n’en demeuraient pas moins exposées aux retours offensifs des esprits inquiets ; l’autorité ecclésiastique montait bonne garde autour d’elles. Dans sa correspondance avec Léon, empereur d’Orient, au sujet du concile de Cbalcédoine, saint Léon pape se montre préoccupé de ces entreprises (Epist., cxlii, i. P. L., LIV, 11 44)- « Chercher ce qui est découvert, reprendre ce qui est achevé, ébranler ce qui est défini, n’est-ce point, dit-il, manquer de gratitude pour la vérité acquise, etcéder àla mortelle convoitise dufruit défendu ? » La parole du pontifene trouvait point partout un écho aussi fidèle qu’auprès du loyal Marcien, qui écrivait de son côté : « Poursuivre l’enquête, après que la vérité a été découverte, c’est chercher le mensonge. » Cent ans plus tard, dans son mémoire adressé à Justinien pour la défense des trois chapitres, Facundus d’Hbrmiane rapportait ces textes (Pro defensione liium capitulorum, xii, 2 ; P. L., LXVII, 866-857), louait Marcien d’avoir suivi les décisions sacerdotales au lieu de vouloir lesprévenir, et ajoutait : « Après cette sentence du prince, que l’Eglise a faite sien ne. certaines gens se vantent d’avoir, par une discussion insolente, découvert une autre vérité. Marcien dit : C’est faire injure au pieux synode, que de reprendre et d’agiter en public des questions qu’il a jugées une fois pour toutes et bien réglées. On prétend s’être incliné devant le synode, et l’on se permet de juger son jugement… » Ces protestations si fermes sont comme le type de beaucoup d’autres, qui s’élevèrent des rangs de l’épiscopat pour revendiquer le caractère irrcformable des vérités définies.

Par ailleurs, on n’a garde démettre en oubli l’existence d’une tradition orale toujours vivante dans l’Eglise, et l’on s’y réfère, en particulier, pour rendre raison de coutumes liturgiques dépourvues d’attestations scripturaireB. Tertullien avait ouvert cette voie ; à la suite de saint Basile, de Spiritn Sancto, xxvn, 66, P. G., XXXII, 187, saint Jban Damascbnb s’y engage à son tour, lors de sa lutte contre les iconoclas te s (De Ima ginib us, Or., i,.13 ; ii, 16. P. o’., XC1V.I256, 1301). Pour établir, en thèse générale, l’existence et la valeur de la tradition, il invoque l’autorité de saint Paul (// Tkess., ii, 15) et celle des Pères, notamment de saint Basile, et il apporte des exemples, auxquels d’ailleurs on ne saurait reconnaître une égale force probante : la vénération constante des chrétiens pour l’emplacement du Saint-Sépulcre, désigné seulement par la tradition orale ; le rite de la triple immersion, dans l’administration du baptême ; la coutume de se tourner vers l’Orient pour prier, l’institution des. sacrements, l’adoration de la croix : autant d’héritages d’uu passé lointain, qu’on chercherait vainement dans l’Ecriture. Le deuxième concile de Nicée, dans son décret en faveur des saintes images, invoque à son tour la pensée des Pères, expression de la tradition catholique (Année 787, U. B., 303, 304. [ » 46]),

L’avènement de la scolastique ouvre une ère nouvelle pour les études sur le dogme. Le dépôt de la foi est un héritage que les anciennes génération* ont déjà fait fructifier, et dont il n’est pas question de déplacer les bornes ; mais la raison entreprend d’y creuser un sillon nouveau et plus profond, avec l’espoir d’en tirer des moissons toujours plus belles.

Telle est l’ambition du père même de la scolastique, saint Anselme, déclarant au début de son Monologiiim (Prooem, P. L., CLVIII, 1 43), qu’il s’est relu bien des fois et ne croit pas s’être écarté de la pensée des anciens Pères, notamment de saint Augustin ; que si, pour céder à de fraternelles instances, il a consigné par écrit quelques réflexions personnelles sur la divinité, on ne doit pas voir en lui un novateur présomptueux, ni un faussaire de la doctrine. Le. Proslogion du même docteur précise encore cette attitude, et nous livre le programme de la théologie médiévale, Fides quacrens intelleclum (prooem., P. L., CLVIII, 225 ; ibid. 1, p. 227 : Neque enim quæro intelligere ut credam ; sed credo ut inteU ligam. — Voir encore Liber de fideTrihitatis etlncarnalione Verbi, præf., ibid., d. 25g-a61). — L’acte de foi est à la base de la recherche scientifique ; les éléments rationnels qui viendront s’y superposer, an fur et à mesure du travail et toujours sous bénéfice d’inventaire, présupposent la donnée traditionnelle, loin de la vouloir supplanter. Non seulement les docteurs orthodoxes, mais un novateur tel qu’Abélard accepte cette position, et ce ne sera qu’au prix d’une inconséquence qu’il prendra ensuite, à l’égard de la tradition, des libertés scandaleuses.

Le traitement méthodique des données de foi par la réflexion théologique devait avoir pour effet d’introduire dans la conception du dogme un élément rationnel, que l’influence des écoles popularisa de plus en plus. Dès le second siècle de notre ère, des Pères hellénistes, un saint Justin, par exemple, un Clément d’Alexandrie, avaient ébauché ce travail, en mettant la sagesse profane au service de l’Evangile ; les scolastiques le poussèrent bien plus avant. Devenue officiellement la servante de la théologie, ancilla theologiae, la philosophie — et par là nous n’entendons pas seulement la pensée originale du douzième et du treizième siècle, mais le fond de sagesse antique emprunté à la Grèce — ne tarda pas à se rendre nécessaire, et nous la retrouverons partout dans la systématisation progressive du dogme chrétien, en quoi consiste proprement l’œuvre théologique du moyen âge.

A quelle profondeur la doctrine d’Aristote pénétra la pensée de saint Thomas, ouvrier le plus illustre de cette systématisation, un regard, même superficiel, jeté sur la Somme Théologique permet de l’entrevoir. La théorie péripatéticienne de l’acte et