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TOTÉMISME

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mitres alliances défensives d’où sont sorties les religions. La domestication îles animaux, le sacriflee sanglant, l’autel même sur lei|uel on l’accomplit, l’idole dressée près de lui et le repas sacramentel, tout cela est, d’après Jevons, d’origine totémique.

Avec le temps, des transformations se produisirent dans la religion de la tribu. La coutume se répandit de choisir des plantes ou des arbres pour totems, aussi bien que des animaux. La diffusion de cette pratique eut des conséquences assez importantes, d’ordre politique et religieux : L’habitude s’acquit de cultiver certaines plantes, et dans la célébration des rites, on substitua les céréales et le vin à la chair et au sang.

L’agriculture rendit possible l’abandon de la vie errante et nomade ; des tribus sédentaires se constitué ; ent, qui linirent par s’unir entre elles et formèrent un Etat. Cette union de communautés autrefois distinctes amena la fusion totale ou partielle des colles particuliers.

Voilà, en somme, quelle place certains savants ont laite au totémisme dans ce qu’ils appellent l'évolution religieuse. Les principaux, auteurs de ces théories sont deux Anglais, Roburtson Smith et Jevons, qui les ont formulées, avec quelques nuances de détails, le premier dans un ouvrage paru en 1890 et intitulé The religion of the Sémites, le second dans An introduction to the history of Religion (London, 1896). M. Salomon Rbinach en France a vulgarisé leurs principes eten a fait quelques nouvelles applications, dans son cours à l’Ecole du Louvre et ans diverses revues savantes ou populaires.

Ces hypothèses ne reposent pas sur des bases assez solidement établies. L’imagination paraît y avoir une grande part.

On ne peut, en effet, soutenir que le totémisme soit un sta.le que toutes les religions doivent avoir traversé au cours de leur évolution. Voici pourquoi.

I* En fait, il y a certaines tribus où l’on ne trouve pTs de to ! em t eï cependant ces tribus sont organisées en clans semblables aux clans totémiques, la descendance se transmet chez elles en ligne maternelle et elles croient au caractère surnaturel et à la quasi divinité de certains animaux. Ainsi en est-il chez les Hottentots, les Esquimaux, les tribus nordméricalnes qui bordent le Pacifique. En outre, on ne trouve que des traces de totémisme chez les peuples aryens, alors qu’ils ont conservé des vestiges Importants d’autres superstitions datant d’un âge aussi primitif, telles que les diverses croyances se rapportant au culte agraire et à la magie. D’ailleurs, les usages totémiques n’ont pas été constatés partout : en Polynésie, ils n’existent qu'à Samoa ; Codrington en conteste l’existence enMélanésie ; il n’y en a que des traces très douteuses à Bornéo et en Chine ; on n’a pas prouvé qu’en Afrique ce soit une organisation universellement répandue. Enfin sur les peuples de l’antiquité, on n’a pu faire que des conjectures très hasardées, ne reposant que sur des fondements fragiles, quelques usages interprétés hâtivement comme des restes d’un totémisme antérieur. Il est prouvé, malgré les dissertations de Roberlson Smith, qu’il n’a dû être en usage ni chez W Arabes, ni chez les Israélites, en un mot chez auMin des Sémites. Il n’est donc pas scientiûquenv -iit démontré que le régime totémiste ait existé chez toutes les tribus de tous les peuples du monde, à un certain moment de leur évolution ; l’opinion contraire est même plus vraisemblable ; comment dès lors prétendre qu’il soit une étape nécessaire par où durent passer toutes les religions ?

2* Nulle part, pas même en Australie ni chez les

tribus rouges de l’Amérique du Nord, la forme totémique du culte ne règne exclusivement, et elle n’a pas toujours la prépondérance. Partout subsiste, à côté, le culte des morts, des plantes, des fontaines, des corps célestes et des rochers, le culte aussi des ancêtres réincarnés dans des animaux ou des végétaux, et toutes les variations du, fétichisme. Il n’est pas permis d’assigner une source totémique à certains rites et coutumes, pour la seule raison qu’ils sont en usage dans les pays qui ont le régime totémique. Les coutumes et les rites peuvent coexister, et ne pas avoir la même origine. Les cultes pastotoraux notamment ne sauraient dériver du toté misme. Ils sont nés chez les peuples chasseurs, qui cherchaient, par des cérémonies propitiatoires, à se concilier la bienveillance des animaux dont ils vivaient et que sûrement ils ne considéraient pas comme des ancêtres ou des membres de leur clan, comme des totems. Pour soutenir cette dépendance des cultes pastoraux par rapport au totémisme, il faudrait démontrer que la domestication des animaux n’a pu se faire que par des croyances et des pratiques totémistes. Quoi qu’on en ait dit, la preuve n’en est pas faite. De simples aflirmations ne sont pas des arguments.

3* « Il est fort difficile, comme le dit L. Marillier (La place du Totémisme dans l’Evolution Religieuse, Revue des Religions, tome XXXVI, 1897, p. 247), d’admettre qu’un culte totémique, tant qu’il a conservé son caractère, ait pu franchir les bornes du clan où il était naturellement enfermé, et se transformer en un culte de tribu, puis en un culte national. Lorsqu’il s’est dépouillé des caractères spéciaux qui distinguent la vénération que le sauvage éprouve pour son totem des autres formes religieuses qui coexistent avec elle, il est d’autre part en tout semblable aux autres cultes thériomorphiques, de telle sorte que le fait d’avoir eu son origine dans l’adoration del’animal, d’abord allié au clan, puis adopté comme ancêtre, n’exerce sur son évolution extérieure qu’une très faible influence. En un mot, à nos yeux, les cultes totémiques, en tant que tels, ne peuvent briser l’enceinte étroitede la famille où ils sont confinés, et, si un animal totem devient le dieu d’un groupe plus étendu, c’est qu’il a cessé d'être un totem et n’est plus qu’un dieu à forme animale ; or les dieux animaux et végétaux sont d’origine multiple et de fonctions diverses ; il n’apparaît donc pas que, si un grand nombre de sociétés religieuses ont traversé la phase totémique, ce soit pour toute religion un stade nécessaire de son développement. Rien d’essentiel ne peut subsister du totémisme dans une religion qui franchit les bornes du clan ; et si certains indices, certaines superstitions, qui persistent après que l’organisation où elles avaient leur raison d'être a disparu, permettent parfois d’affirmer que l’animal divin qui est l’objet d’un culte a été, à une époque antérieure, le totem de ses adorateurs actuels, il ne s’ensuit pas qu’il fallait, pour devenir un dieu, avoir été conçu comme l’ancêtre thériomorphique d’un clan sur lequel il étendait sa protection. »

Au troisième Congrès international de l’Histoire des Religions (Oxford, septembre 1908), M. J. Toutain, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes, présentait un mémoire sur l’Histoire des Religions et le Totémisme. La séance fut instructive. Elle permit de mesurer la déchéance de la théorie totémique dans la pensée commune du monde savant.

Le conférencier commença par évoquer le passé de l'école totémique ; il rappela les déclarations récentes de M. Salomon Reinach : * Partout où les éléments du mythe ou du rite comportent un animal ou un végétal sacré, un dieu ou un héros déchiré ou