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TOTEMISME

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d’objets matériels, ordinairement une espèce animale ou végétale, avec laquelle les membres d’un clan sauvage se croient unis par un lien magique ou religieux, qu’ils traitent avec respect, et qu’ils considèrent comme tutélaire. Soit, par exemple, un clan ayant pour totem le crocodile : les membres du clan s’appelleront crocodiles, diront qu’ils descendent du crocodile, élèveront et entoureront de soins des crocodiles familiers, se croiront à l’abri de ses attaques, etc.

Un totem n’est pas un fétiche. Ce qui les distingue, c’est d’abord le caractère collectif du totem, qui est toujours une classe d’êtres ou d’objets — non pas tel crocodile déterminé, mais tous les animaux de l’espèce crocodile, — tandis que le fétiche est un individu isolé ; c’est ensuite que le totem n’est sacré et redoutable que pour les membres de son clan, tandis que le fétiche l’est pour tout le monde.

Ce terme a été importé d’Amérique au xvnr 5 siècle dans la littérature européenne par un interprète indien du nom de J. Long, qui l’écrivait totam. Il est assez difficile d’avoir l’orthographe authentique, puisque quatre ou cinq auteurs donnent des variantes. Jones transcrit : toodaim ; Warren, dodaim ; Francis Assikinak, ododam. L’abbé Thénenet parait avoir tranché la question dans son Lexique de la langue algonquine, p. 312. Le mot est proprement ote, « famille, tribu, marque de famille » ; la forme possessive est otem : avec l’adjectif possessif, on a nind otem « ma famille », kinà otem « ta famille ». Depuis longtemps les Anglais ont l’habitude d’employer totem ; cette forme a prévalu.

Les croyances et les usages totémiques peuvent être considérés sous deux aspects, qu’on a appelés Vaspect religieux, ou l’élude des rapports des hommes avec leur totem, et l’aspect social, ou l’étude des rapports des hommes de même totem entre eux.

A) Aspect religieux du Totémisme. — i°) Les membres d’un clan totémique portent le nom de leur totem et disent souvent qu’ils descendent de lui. Le clan tortue des Iroquois croit avoir pour ancêtres une tortue qui rejeta sa carapace et se transforma en homme.

a°) L’animal-totem est tabou, on doit le traiter avec respect. En règle générale, il est interdit de le tuer, et de le manger, sauf au cours des cérémonies rituelles ou en cas d’extrême nécessité ; mais alors on lui adresse des excuses, et on essaye d’atténuer le meurtre par des artifices. Si le totem est un végétal, on ne peut le cueillir en tout temps, ni s’en nourrir, ni même s’asseoir à son ombre. Défense de toucher le totem, parfois de le regarder, de le nommer par son nom. La trangression de ces lois entraîne d’ellemême la punition, qui suit nécessairement la faute : c’est la mort, ou la maladie. La vénération dont on entoure le totem prend le caractère d’un véritable culte : souvent on lui OtEre des sacrifices, sous forme de banquets rituels où on immole à lui-même le totem et où on consomme sa chair.

3°) En retour, le totem doit aux gens du clan sa protection et ses bons offices. Les scorpions et les serpents épargnent les membres de leur clan. C’est là l’origine des ordalies totémiques. Non seulement le totem ne peut nuire, mais il protège ses adorateurs, il les renseigne par des signes, les avertit des dangers, de l’approche des ennemis, des maladies, de la mort. Pour l’obliger à accorder sa protection, on cherche à se rendre semblable à lui : on se déguise en totem ; on s’habille de sa peau ; on porte ses plumes ; on le représente sur soi par des incisions, des cicatrices ou des tatouages. Certains sauvages s’arrachent les incisives supérieures, à la puberté :

les Botokas d’Afrique pensent ainsi ressembler au bœuf. D’autres se liment les dents pour imiter celles des chats ou des crocodiles.

B) Aspect social du Totémisme. — i°) « Tous les membres d’un clan totémique se regardent comme parents ou comme frères et sœurs ; ils sont obligés de se prêter aide et protection entre eux ; le lien totémique est plus fort que le lien du sang ou de famille, dans le sens moderne… Tuer un homme de son clan, c’est commettre un crime horrible… un attentat de ce genre blesse ou tue le dieu ». Cf. Frazer, l.e totémisme, p. 82-83.

a) Les personnes de même totem ne peuvent se marier entre elles ni avoir de relations sexuelles. L’infraction à cette règle est punie d’une sanction naturelle, comme toutes les violations des tabous : les os du coupable se dessèchent, et il meurt. Le clan inflige en outre des châtiments, sévères ; souvent, c’est la mort ; rarement, la bastonnade. Dans quelques tribus, cette interdiction 6’étend seulement au clan totémique d’un homme ; il peut épouser la femme de n’importe quel autre totem. Plus souvent, la prohibition s’étend à plusieurs clans, auxquels il est défendu de s’allier ; l’ensemble des clans interdits en mariage aux individus d’un même totem forme une phratrie. « La phratrie est donc, dit Frazer, une division exogamique intermédiaire entre la tribu et le clan ».

3° Dans la grande majorité des tribus totémiques de l’Australie et de l’Amérique du Nord, la descendance est en ligne féminine ; les enfants appartiennent au clan totémique de leur mère. En Afrique, les tribus ont les unes la descendance féminine, les autres la masculine. Il y a des tribus qui oscillent entre les deux, chez lesquelles un enfant peut entrer soit dans le clan de son père, soit dans celui de sa mère.

Diverses espèces de totems. — Le clan peut avoir un totem commun, qui se perpétue d’une génération à l’autre, c’est le totem de clan ; le sexe peut avoir son totem, qui est commun soit à tous les hommes, soit à toutes les femmes, c’est le totem sexuel ; l’individu peut avoir aussi le sien, qui est sa propriété personnelle, et ne peut se transmettre ni par donation entre vifs, ni par voie d’héritage ; c’est le totem individuel. Le totem du clan est le plus important ; et c’est de lui qu’il est question quand on parle du totémisme sans épithète.

II. Origine du Totémisme. — L’origine du lotémismeresle encore un problème. Les savants ont formulé diverses hypothèses, dont aucune ne semble satisfaisante. Nous exposerons les principales, sans naturellement nous porter garant de leur exactitude.

J. T. Mac Lbnnan, qui attira le premier l’attention sur l’ensemble des pratiques religieuses et des coutumes sociales du totémisme, en tente une explication qui, même d’après lui, n’a pas grandes chances d’être la vraie. L’animal totem elles membres de son clan descendent d’un premier ancêtre commun, à forme animale ou végétale, qui fut à la fois le générateur des animaux ou végétaux de son espèce, et du clan qui porte son nom. On lui rendit des honneurs, un culte assimilable aux autres cultes ancestraux ; c’est entant qu’ancêtre que letotem est adoré. Si on a plus d’attention pour lui, si on recourt à lui avec plus de confiance qu’aux parents morts, c’est qu’on le suppose doué d’un plus grand pouvoir et qu’on attend de lui une protection plu* efficace et de plus nombreux services. Le Totémisme ne serait donc qu’une forme du culte des ancêtres. (Cf. Mac Lbnnan, The Worship oj Animais and