Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/863

Cette page n’a pas encore été corrigée

1713

TOLERANCE

1714

de l’esprit. Mais concevra-t-on plus aisément comment un homme, possédant non seulement toutes les notes constitutives de son essence, mais actuellement inséré, par son degré d'être, dans l'échelle des créatures, peut, nonohstant cet être actuel, et par l’clTet d’un prodigieux cumul, être en personne le Dieu Créateur ? Cela nVst pas le mystère de l’Incarnation, mais un mystère surajouté à l’Incarnation.

Les esprits distingués qui se sentent le courage de dévorer cette chose énorme, doivent bien quelques égards à ceux qui ne la dévorent pas. Car ceux-là montrent un sens aigu des répugnances métaphysiques. Ils ont d’ailleurs pour excuse la lettre des Ecritures. Ils ont lu en saint Jean(/o., i, i/ t)que

« le Verhe s’est fait chair ». Cela, certes, ne signilie

pas que le Verbe s’est fait le moteur de la chair ; mais bien, que cette chair est la propre chair du Verbe. Aussi bien, saint Jean ne craint-il pas de dire (I lu., i, 1. a) : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché concernant le Verbe de vie…, nous vous l’annonçons ». Les mêmes chrétiens ont lu en saint Paul (Plul.. ii, G. 7) : » Existant en forme de Dieu…, il a pris la forme d’esclave, s'étant rendu semblable aux hommes et s'étant montré sous l’aspect d’un homme ». Cela, certes, ne signilie pas qu’il a revêtu l’humanité par le dehors, comme on revêt un manteau, mais bien par le dedans, jusqu'à pouvoir dire : « Ma chair et mon sany ». Aussi bien est-ce par la vertu de son sang, d’après le même saint Paul, que Dieu a racheté l’humanité (Ad., xx, a8).

L’unité de l’Homme-Dieu est un dogme de la foi chrétienne. Pour en réaliser la signification, il faut dépasser l’union morale et l’union dynamique, et pousser jusqu'à la substance. Autrement, et si Jésus-Christ est un homme pourvu d’un être humain, comment Marie, sa mère selon la chair, serait-elle appelée Mère de Dieu, sinon par synecdoque ou métonymie ? Et comment l’apôtre saint Thomas, plongeant sa main au côté du Sauveur, aurait-il pu s'écrier avec vérité : « Mon Seigneur et Mon Dieu » ?

Les considérations précédentes nous paraissent assez graves pour commander au moins le respect d’une conception qui a fait l’unanimité dans l'école dite proprement thomiste, depuis cinq siècles. Sur aucun point nous n’avons mieux senti comment le document approuvé par le Sacrée Congrégation des Eludes doit être tenu pour iutanorma directiva 1.

Adhémar n’Alite.

1. Nous prions le lecteur d’excuser une confidence métaphysique. Les idées consignées dans cet article, sur le mystère de l’Incarnation, n’ont pas été suggéiées par 1-e document du 27 juillet 191'*. Elles répondent à dos convictions anciennes, qui ne se sont pas formées dans noire esprit sans Lubenr. Sur les bancs de la philosophie, nous avions entendu l’exposition d’une pensée (iphanienne. Sur les bancs de la théologie, nous entendîmes l’exposition d’une pennée suarésienae. Pas plus dans l’une que dans l’autre, notre esprit ne trouva son repos. Qumd enfin vinrent en nos mains Us écrits des S. B. Terrien et L. Billot, les écailles tombèrent de nos yeu*. L’unique Etre incréé du Christ nous apparat comme le fondement de l’union hypostatique, et la distinction de l’essence et de l'être comme postulée par le mystère. Notre conviction 8e fixa pour ne plus vaciller. Il y a de cela plus de trente ans. Ce fait personnel, pris en lui-même, est négligeable. Mais l’oeuvre apologétique avance quelquefois par témoignages plus que par raisons démonstratives. Nous n’avons pu nous abstenir de consigner ce témoignage d’une raison raisonnante, à la dernière page de ce Dictionnaire Apologétique.


TOLÉRANCE. — I. La tolérance privée du catholique. — II. La tolérance ecclésiastique. — III. La tolérance civile.

Définition. — La tolérance peut se définir : une attitude de patience raisonner à l'égard d’un mal qu’on aurait le droit ou le pouvoir de combattre. Suivant que cette attitude est celle de l’individu ou d « la société, on pourra la définir, avec Ta Société française de philosophie : « Manière d’agir d’une personne qui supporte sans protestation une atteinte habituelle portée à ses droits stricts, aiors qu’elle pourrait la réprimer » ; ou bien : « manière d’agir d’une autorité qui accepte ouvertement, en vertu d’une sorte de coutume, telle ou telle dérogation aux lois ou règlements qu’elle est chargée d’appliquer ».I1 est prévu dans le code que les actes de simple tolérance ne peuvent fonder ni prescription ni possession.

Le mal ainsi « toléré » peut être de ditférentes sortes. L’usage courant cependant le restreint plutôt à une opinion contraire à celle du sujet qui

« tolère ». Dans ce sens plus particulier, on pourra

donc définir la tolérance : « Disposition d’esprit ou règle de conduite consistant à laisser à chacun la liberté de tenir ou même d’exprimer ses opinions, alors qu’on ne les partage pas). Ces opinions peuvent être de différentes espèces : philosophiques, littéraires, morales, religieuses… On s’en tiendra ici aux opinions religieuses, et aux autres dans la seule mesure où elles sont connexes avec celles-là.

Division. — L’attitude en question peut être celle du particulier à l'égard d’autres individus ou de sociétés religieuses, ou bien de sociétés à l'égard d’individus ou d’autres sociétés. Il y a donc lieu de distinguer la tolérance privée et la tolérance publique. Cette dernière, suivant qu’elle sera le fait de la société civile ou de la société religieuse, se subdivisera logiquement en tolérance civile et tolérance ecclésiastique. Cette division est celle qu’on suivra ici. On verra donc successivement l’attitude du catholique à l'égard d’opinions religieuses autres que les siennes ; celle de l’Eglise catholique à l'égard des autres religions et celle de l’Etat à l'égard de l’Eglise catholique.

§ I. — La tolérance privée du catholique

Remarque préliminaire. — Le but de ce Dictionnaire étant avant tout de défendre l’Eglise des accusations fausses portées contre elle, cette première partie, logiquement, paraîtra inutile et cela pour deux raisons. D’abord parce que l’attitude du catholique ne peut et ne doit être qu’une réplique concrète, un reflet pratique de l’attitude théorique de son Eglise en face des autres religions. En étudiant tout à l’heure cette dernière, on résoudra donc effectivement la question. Ensuite, parce qu’on n’a pas ici à faire l’apologie d’individus, mais de principes. Les défaillances privées, quelque nombreuses qu’elles soient, ne compromettent jamais substantiellement une institution. On donnera néanmoins — pour des raisons d’utilité immédiate — quelques indications sur la tolérance privée, sans cependant relever dans le passé des faits d’intolérance privée, qui n’engagent pas l’Eglise.

Principes — Quelques propositions générales doivent orienter tout catholique dans ses rapports avec ceux qui n’ont pas la même foi ou les mêmes opinions libres que lui. Les voici : 1) L’acte de foi étant une adhésion libre de l’homme à une vérité révélée par Dieu, aucun acte tendant à imposer, à surprendre d’une manière ou d’une autre cette adhésion, ne peut être licite.