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THOMISME

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Pour que nous la tronvions au fond des choses, il faudrait qu’on nous ouvrit une voie, si étroite fût-elle, donnant accès à l’intelligence de la proposition en cause : « Cet homme est Dieu ». Nous cherchons en vain. L’humanité est juxtaposée à la divinité ; nous ne voyons pas qu’elle soit unie. Rien n’est plus éloigné de saint Thomas.

Quand il s’est agi d’expliquer l’unité du composé humain, saint Thomas s’est vu acculé, par sa puissante logique, à cette conclusion inéluctable : l’àme spirituelle est, dans l’homme, principe unique non seulement de la vie, mais de la substance et de l’être. Il sentait bien que, à défaut de ce principe substantiel, il n’y a pas d’unité possible, pas d’être spécifiquement humain ; que ni les éléments du corps ai le corps même ne sont de l’homme, sinon en taut qu’actuellement informés par ce principe supérieur qui fonde l’unité de l’homme vivant. Pour passer des éléments du corps ou du corps même à l’homme même, il y a un abîme à franchir. Nul dynamisme ne le franchira.

Traduisons en langage de laboratoire moderne ce qui s’est imposé à la raison de saint Thomas. Ni l’hydrogène ni l’oxygène ni le carbone ni l’azote, comme tels, ne sont l’homme. Ce sont résidus ultimes produits par la désintégration de l’être humain ; rien de plus. Il n’existe pas de voie pour concevoir que le carbone, demeurant carbone, devienne tissu vivant et homme vivant. Pour qu’il devienne homme vivant, il faut que son être actuel soit en quelque manière dissous et ressaisi par le principe vital d’un organisme humain, surélevé par la vertu de l’âme spirituelle. Ainsi raisonne saint Thomas en matière d’anthropologie.

Il ne raisonne pas autrement en matière théologique, mais il nous dit : Il n’existe pas de voie rationnelle pour concevoir que les éléments de cet homme, ou même cet homme complet et vivant, demeurant dans son être actuel, devienne Dieu. Le corps du Christ au tombeau n’était pas même un homme, mais seulement le corps d’un homme mort. Et le Christ vivant lui-même, s’il fût demeuré dans son être connaturel et humain, n’eût pas été Dieu. Il aurait pu être l’instrument privilégié d’un dynamisme divin, assumé par grâce en unité d’opération, non en unité de substance ; le plus grand des prophètes et des thaumaturges, le plus grand des lil6 adoptifs de Dieu, non son propre Fils par nature. Ces choses-là s’excluent. Pour qu’il fût le propre Fils de Dieu par nature, il a fallu que l’Etre même du Verbe divin devînt le fondement ontologique et la raison de son être. Aucun enveloppement extérieur, aucun agencement hiérarchique, n’a pu réaliser cette merveille : Verbum euro fuctum est. lia fallu l’unité d’acte ontologique.

Il va sans dire que, de cet acte ontologique, rien ne transparait au dehors. L’imagination s’arrête à bout de souffle. Et l’analyse métaphysique elle-même ne saurait déceler, dans cet élément potentiel qu’est l’humanité du Christ, rien qui ne dût appartenir à l’homme Jésus, si le Verbe divin s’en retirait. Mais l’unité d’acte ontologique est postulée par le mystère de l’Homrae-Dieu. Et des conséquences métaphysiques en découlent, postulées aussi, non pas certes comme des dogmes de foi, mais comme des vérités théologhpues.

Nous le répétons. La pensée anthropologique de saint Thomas déborde la définition du concile de Vienne. Et nous ajoutons : sa pensée christologupie déborde la définition du concile d’Ephèse. Il n’est pas question < !e canoniser un système. Il s’agit de pénétrer la pensée de saint Thomas.

La pensée de saint Thomas est d’une cohérence

incomparable. Pour bien faire entendre l’unité substantielle du composé humain, on l’a vu recourir à des analogies et à des suppositions diverses : par exemple, à la supposition d’un membre créé à part, par un acte de la toute-puissance divine, et venant s’insérer dans l’unité vitale d’un organisme préexistant. La supposition peut prendre aujourd’hui une forme moins naïve, en s’inspirant des expériences de greffe des tissus ou de transfusion du sang. Il est sûr que le tissu greffé, que le sang transfusé ne devient pas la propriété actuelle de l’organisme préexistant, au moment même où l’opération chirurgicale s’accomplit, mais seulement à mesure que l’influence du principe vital s’étend à cette matière nouvelle annexée artificiellement, et se l’assimile. A mesure que progresse l’assimilation, la matière nouvelle dépouille son degré d’être inférieur et entre dans l’unité supérieure de l’organisme vivant. L’union hypostatique du Verbe divin à la nature humaine n’a pas eu à progresser dans le temps, mais elle a exigé que les éléments de la nature humaine, pris de la Vierge, fussent affranchis de l’être purement humain et appuyés sur l’Etre de Dieu.

Pour entendre l’unité du composé théandrique, nous pouvons recourir à une analogie moins grossière, tirée du mystère de foi, interprété par saint Thomas.

Par l’effet de la transsubstantiation eucharistique, les espèces du pain et du vin perdent leur substance propre, et ne contiennent plus que le corps et le sang du Christ. Pourtant, les espèces demeurent, inchangées. Quelque chose de semblable s’accomplit dans l’acte de l’Incarnation, sur les éléments matériels qui constituent le corps du Christ. Dirons-nous de ces éléments qu’ils sont déifiés ? Si hardie que paraisse la métaphore, elle peut s’autoriser d’analogies respectables et recevoir une interprétation correcte. Car ces éléments matériels ne retournent pas au néant : ils deviennent le corps préexistant de l’Homme-Dieu. Dans une matière moins haute, la langue chrétienne parle de déification de l’homme par la grâce sanctifiante. Saint Pierre ose dire (II Pet., i, 4) que les fidèles sont rendus participants de la nature divine. Et les Pères grecs opposent souvent à l’Incarnation du Verbe, qui s’est fait homme pour nous, notre propre sanctification, qui nous fera dieux. Pourtant, il ne s’agit là que de participation accidentelle à la nature divine. Le Christ est Dieu, substantiellement. Et les éléments de matière qui entrent en composition de son humanité sainte, sont associés à l’unité de l’Etre divin. Ils ne cessent pas pour cela d’obéir aux lois communes de l’évolution organique, car le Seigneur a voulu devenir à nous semblable en tout, hormis le péché. Ilien ne paraît changé dans l’ordre des phénomènes. Mais un principe nouveau est entré dans la trame de ce monde, c’est Dieu môme uni à la chair. Voilà ce que saint Thomas -veut nous faire bien entendre. Il aurait pu employer, pour traduire son concept, le mot triinsentatio, parallèle à transsul/stanliittio. Car sous des apparences identiques, il y a eu substitution d’être, de l’Etre incréé à l’être créé. Comme la substance préexistante du pain et du vin a passé dans la substance humaine du Christ préexistant, ainsi l’être substantiel assumé par le Fils de Dieu a-t-il passé dans l’être substantiel du Fils de Dieu. Or cet être est un.

Pour étayer cette conception, saint Thomas rappelle la distinction réelle entre l’essence et l’être créé, distinction établie par ailleurs. On pourrait ! a trouver suffisamment postulée parle mystère.

Evidemment, cette conception réclame un efforl