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THOMISME

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arrivait que, dans une question parallèle, saint Thomas parlât tantôt d’un être, tantôt de deux, il pourrait y avoir lieu d’examiner s’il s’agit rigoureusement de deux êtres, ou d’un seul être en deux différentes fonctions.

Or il est manifeste que tel est le cas de la Quæstio de unione Verbi incarnali.

Nous n’ignorons pas que le langage de cette Quæstio a paru dur à d’éminenls thomistes. Ils ont éprouvé quelque peine à l’accorder avec le langage de la III » q. 17 a. 2, et Cajetan se montrait assez disposé à écarter simplement cette question, dont l’authenticité lui paraissait mal établie ; tout au plus l’acceptait il comme une ébauche de jeunesse, où l’on ne trouve pas encore la fermeté de dessein qui distingue les œuvres de la maturité. Son Ërainence le Cardinal Billot a montré plus de défiance encore à l’égard de cette question, « quod nec stylum nec rationem S. Thomæ redoleat. » De Verbo incarnate/*, p. 132, note.

Avouons de suite que cette défiance nous a toujours paru peu justifiée. Elle ne se comprendrait plus aujourd’hui, après que le R. P. Pelster a établi péremptoirement, par l’étude des manuscrits, que dès le début du xive siècle et peut-être avant la fin du xiii’, en Angleterre, en France, en Italie, en Allemagne, la Quæstio était publiée sous le nom de saint Thomas, comme cinquième et dernier terme du groupe des Quæstiones de Virtutibus {.

1. Fr. PblSTfr, S. J., La Question de Unione Verbi. dans Archives de Philotophie, III, 2, Paris, 1925. — Dans ce. très docte mémoire, on nous permettra de faire deux parts. D’abord la question paléograpbique. Elle échappe entièrement à notre compétence. Mais nous n’avons aucune peine à la croire résolue péremptoirement, par l’émiiient chartiste qu’est le K. P. Pelster. Puis la question du métaphysique et d’histoire. Sur ce terrain, les constructions de l’auteur nous paraissent tout à fait branlantes. Elles ne tendent à rien moins qu’à renverser absolument la perspective dans laquelle, depuis Cajetan, on a toujours considéré la Quætlio de Unione Verbi, supposée authentique. Au lieu d’une ébauche de jeunesse, nous aurions là le suprême aboutissement de la pensée thomiste, sur un point capital où le Docteur nngélique aurait parlé improprement toute sa vie, dans le commentaire In Sentenlias, dans le Compendium Theologiae, enfin dans la Somme Théologique, et n’aurait atteint la lumière qu’en rédigeant cette question mystérieuse, fruitde ses réflexions suprêmes. Imagine-t-on tout ce qu’une telle hypothèse renferme d impossibilités matérielles, du seul point de vue <le la chronologie ? Pour sauvegarder son assertion principale, le P. Pelster est obligé de supposer que la Quæstio de Unione Verbi date du second séjour de saint Thomas à Paris (I2C9-1272), non seulement quant à sa publication, ce que le témoignage des manuscrits rend plausible, mais quant à « a rédaction, ce qui est une hypothèse entièrement gratuite. Acceptons l’hypothèse. Pour soutenir que la réduction de cette Quæstio est postérieure à celle de IN a q. 17 a. 2, il faut nécessairement admettre qu’elle a été composée tout à la fin de ce deuxième séjour à Paris. Or, à cette date, l’encre de Ill a q. 17 a. 2 n’avait p.is eu le temps de sécher, si tant est qu’elle fût écrite. Car, d’après une indication non suspecte de Guillaume de Tocco, le P. Pelster nous montre saint Thomas composant à Xaples la III a q. 46. D’où il suit — selon les suppositions les plus favorables adoptées par l’auteur, — que le départ de Paris (printemps 1272) se place entre la composition de III a q. 17 ella composition delll a q. 46. Ce serait donc à la veille de ce déport, et tout à fait in extremis, que saint Thomas aurait réalisé l’étonnante évolution que rien n’annonçait, et qui lui aurait fait, en quelques jours, abandonner les positions de toute sa vie pour celles qui apparaissent seulement dans la Quæstio de unione Verbi incarnait’ ! Cela paraît tout à fait incroyable. Nous ne prétendons certes pas que l’évolution des pensées de saint Thomas se soit poursuivie constamment selon une trajectoire parfaitement rectiligne. Mais la Quæstio de unione témoigne de positions toutes voisines de celles que tenait

Donc nous ne ferons pas difficulté d accueillir cette question comme authentique. Mais nous avouerons n’y trouver aucun fondement sûr pour l’exégèse qu’on a parfois infligée à saint Thomas.

Car il ressort assez nettement de son texte qu’il n’a pas en vue deux esse simplement distincts, niais un seul esse en deux fonctions. Et qu’on ne dise pas : l’esse unique est celui de la personne ; l’esse de nature est double, et donc doit être distingué de l’esse personnel, autrement que comme une fonction. Pareille distinction n’est jamais entrée dans l’esprit de saint Thomas. Il nous dit expressément, non pas seulement dans la Somme Théologique, mais ici même, qu’il a en vue un seul Esse, celui du suppôt ou de la personne ; que cet unique Esse est, dans la personne du Verbe incarné, subslantifié doublement : d’une manière essentielle par la nature divine, et d’une manière qui, d’un point de vue logique, pourrait s’appeler accidentelle, par la nature humaine : In Christo suppositum subsistons est persona Filii Dei, quæ simpliciter substantificatur per naturam divinam, non autem simpliciter substantificatur per naturam humanam.

C’est-à-dire que l’Esse constitutif de la personne est identiquement celui de l’une et de l’autre nature, encore qu’il exerce à l’égard de la nature divine son acte connaturel, et à l’égard de la nature humaine un acte de libre surcroît.

Il n’y a aucune place, dans cette exposition, et à plus forte raison dans les expositions parallèles, pour un être créé de l’humanité du Christ.

3° Diverses expositions de la pensée thomiste sur l’union hypostatique. — On nous fait observer enfin, qu’il existe, de la pensée thomiste sur l’union hypostatique, diverses interprétations reçues dans les écolescatholiques, et dont chacune prétend être la meilleure, sinon la seule bonne ; qu’une telle compétition invite à la prudence et à la modestie. — Rien de plus vrai. Nous essaierons de nous en souvenir dans ces considérations finales.

Les solutions métaphysiques apportées au problème qui nous occupe, je veux dire à l’analyse de l’union hypostatique, peuvent se ramener à quatre. Nous les présenterons dans l’ordre de leur vogue historique, en les rattachant aux noms de leurs défenseurs les plus illustres.

A. — La solution que nous avons exposée, comme particulièrement fidèle à la lettre et à l’esprit de saint Thomas, a été défendue dès le xme siècle par d’insignes thomistes, tels que Pibrre du Tarantaisb, O. P. (Innocent V -j- 1279) et Gillbs uk Romk, O. S. A. (-j- 1316). Mise pour la première fois en pleine lumière par Jkan Caprbolus, O. P. ({- t{kk),

— « princeps Ihomistarum », — dans ses Libri de/ensionum Theologiæ divi doctoris Thomæ de Aquino in Libros Sententiarum, elle a toujours compté des adeptes convaincus. Les noms qui précèdent sont assez représentatifs pour qu’on nous dispense d’en aligner beaucoup d’autres. De nos jours, elle a clé reprise avec autorité, notamment par deux théologiens français de la Compagnie de Jésus, leR. P. J.-B. Tbiuukn (-J-1903J, Doctrina sincera de unione hypostatica Verbi Dei cum humanitate, Paris, 1 8g4 ; et son Emiuence le Cardinal Billot. On la retrouvera chez beaucoup d’autres auteurs. Qu’il suffise de renvoyer au Dictionnaire de Théologie catholique, art. llypos son maître Albert le Grand : il paraît infiniment plus probable que lui-même est parti de telles positions pour aboutira celles delà Somme, et n’a pas accompli in extremis l’in vraisemblable régression que l’on nous suggère

— Dans le même sens, C. Boybr, S. I., Gregorianum, 1926, p. 276 ; Edgar de Bruynb, Saint Thomas d’Aquin, p. 62 et 102. Bruxelles-Paris, 1928.