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THOMISME

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tendre à trouver un certain parallélisme avec l’analyse de la personne humaine ; sans préjudice des dilTérences profondes, requises par la disproportion in Unie entre le Créateur et la créature.

A cet égard, on peut lire notamment In III d., 4t'> q. i a. a qc. i ; d. 6 q. a art. a ; Q. mica de unione Vrrbi incarnati, art. 4 ; Quodl., ix, q. a art. a ; Comp. rheol, no. au ; DI a q. 17 art. a.

Nous choisirons, entre ces diverses expositions, la page la plus classique, et nous la lirons simplement, nous laissant porter par le parallélisme avec l’analyse du composé humain, aussi longtemps que le parallélisme nous soutiendra ; et notant les différences quand elles apparaîtront.

III* 9. 17 art. 2. Ulrum in Christo sit tantum unum esse.

R. d. q., quia in Christo aunt duæ naturæ et una hypostasis, necesse est quod ea quæ ad naturam pertinent in Christo sint duo, quæ autem pertinent ad hypostasim in Christo sint unum tantum. Esse autem pertinet t ad naturam et ad hypostasim ; ad hypostasim quidem, sicut ad id quod habet esse, ad naturam nutem sicut ad id quo tdiquid habet esse. Naturu enim significatur per modum formae, quæ dicitur ens ex eo quod ea aliquid est ; sicut albedine est aliquid album, et hamanitate est .i.i t uid liomo. Est autem considerandum quod, si est aliqua forma vel natura quæ non pertineat ad esse personale hypostasis subsistentis, illud esse non dicitur esse illius personæ simpliciter, sed secundum quid : sicut esse album est esse Socratis non inquantum est Socrates, sed in quantum eitrlbus. Et huiusmodi esse nihil prohihet multiplicari in una hypostasi vel persona : aliu 1 enim est esse quo Socrates est albus et quo Socrates est musicus. Sed illud esse quod pertinet ad ipsam hypostasim vel personam secundum se, impossibile est in una hypostasi vel persona multiplicari ; quia impossibile est quod unius rei non sit unum esse. Si igitur humana natura ad>.eniret Filio Dei non hypostatice vel personaliter, sed accidentaliter, sicut quidam posuerunt, oporteret ponere in Christo duo esse : unum quidem secundum quod est Deus, aliud autem secundum quod est bomo ; sicut in Socrate ponitur aliud esse secundum quod est albus, et aliu I secundum quod est homo ; quia esse album non pertinet ad ipsum esse personale Socratis ; esse autem capitatum et esse corporeum et esse animatum, totum pertinet ad unam personam Socratis ; et ideo ex omnibus his non fit nisi unum esse in Socrate ; et si contingeret quod post conslitutionem personæ Socratis advenirent Socrati nian us vel pedes, vel oculi, sicut accidit in cæco nato, ex his non âccresceret Socrati aliud esse, sed solnm relatio quædam ad huiusmodi ; quia se. diceretur esse non solum secundum ea quæ prius habebat, sed eliam secundum ea quæ sibi postmodum udvenerunt. Sic igitur, cum humana natura coniungatur Filio Dei hypostatice vel personaliter… (q."2 art. 5 et 6), et non accidentaliter, consequens est quod secundum humanam naturam non adveniat ei novum esse personale, sed solum nova babitudo esse personalispræexistenlis ad naturam humanam ; ut se. persona illa iam dicatur subsistere non solum secundum divinam naturam, sed etiam secundum humanam.

L’idée directrice de saint Thomas, dans l’analyse qu’il fait ici du composé théandrique, c’est l’unité de personne à sauvegarder. Or le composé théandrique présente ceci de particulier, qu’il renferme deux natures complètes en acte. Ceci le met à part de tous les autres composés connus. Et ceci oblige à chercher un principe d’unité en dehors de la nature comme telle ; car deux natures ne peuvent se rencontrer dans l’unité de nature : ce serait l’hérésie d’Eutychès. Le principe d’unité nous est désigné par la foi : c’est la personne du Verbe incarné, s’unissant la nature humaine. Saint Thomas va-t-il donc renier le principe universel qu’il a coutume d’affirmer, en fait de composition : Cuicumque formæ substernilur aliquod ens actu quocumqne modo, illa forma est accidens ? Nullement : ce serait donner dans

l’hérésie opposée, celle de Nestorius, et scinder la personne du Christ. Mais il fera subir au principe universel les adaptations qui s’imposent dans ce cas unique. Tout d’abord, il sait bien que la personne du Verbe n’est pas une forme, s’unissant la nature humaine comme une matière informable, mais un acte infini, étendant sa vertu à un sujet fini. Sout le bénéfice de cette adaptation, il maintient le principe. Aussi a-t-il déjà établi que l’union de l’humanité au Verbe divin n’est pas accidentelle, mais substantielle. Va-t-il donc désintégrer la nature humaine, pour la montrer capable d’union au Verbe ? Pas davantage, lisait que le mystère de l’Incarnation est le mystère de l’union entre deux natures complètes, et répète sous toutes les formes que rien ne manque à l’humanité du Christ de ce que comporte l’intégrité de la nature. Les deux natures, complètes en acte, se rencontrent dans l’unité de personne.

A cette nature humaine complète en acte, que manque-t-il donc pour être aussi une personne en acte ? Il lui manque d’exister à part, en vertu d’un acte à elle propre, d’un acte fini qui lui serait oonnaturel. Cet acte, la nature humaine du Christ l’acquérerait ipso facto, si — par une supposition impossible — il plaisait au Verbe divin de renoncer à sa chair. Dans ce cas, l’homme Jésus retomberait, sans changement intrinsèque, dans la pure condition d’homme. Ce ne serait pas un changement dans la nature, mais un changement dans la condition de la nature.

On voit immédiatement que cette conception — qui est, sans doute possible, celle de saint Thomas

— requiert dans l’humanité du Christ une double aptitude à être actuée, soit par un acte connaturel, soit par l’Acte surnaturel qu’est l’Etre même du Verbe. Et, par une conséquence nécessaire, on voit que la conception de saint Thomas implique dans cette humanité créée une distinction réelle d’avec l’acte qui peut l’actuer.

Mais d’autre part, on voit l’impossibilité absolue d’admettre en composition de la personne du Verbe incarné un acte humain d’être ; car l’humanité du Christ, une fois actuée par cet acte humain, ne serait plus en puissance à une actuation ultérieure par l’Acte divin ; cela, d’après les principes inébranlables de saint Thomas, qui repousse, ici et ailleurs, toute imagination d’actes substantiels échelonnés et superposés dans un même sujet. Voir, à ce propos, M. de la Taille, S. I., Actuation créée par acte incréé ; dans Mélanges Grandmaison, Rech. de S. Bel., 1938, p. 253-258.

Que telle soit la vraie pensée de saint Thomas, il le dit lui-même avec une telle clarté que l’hésitation de plusieurs devant son texte a de quoi surprendre. Il dit, par exemple, ad 2 m : Illud esse aeternum Filii Dei, quod est divina natura, fît esse hominis. Notez bien qu’il ne dit pas : superducitur esse hominis, ce qui serait démentir toute son ontologie ; mais bien fit esse hominis ; c’est-à-dire que l’Homme Jésus n’a qu’un seul Esse, celui même du Verbe divin. Tel est le nœud du mystère, la traduction, en langue de métaphysique thomiste, du : Verbumcaro factum est.

Nous croyons avoir vérifié le parallélisme exact des deux analyses que fait saint Thomas, non pas une fois, mais bien des fois, des deux composés souvent rapprochés dans ses ouvrages : le composé humain, qu’est toute nature humaine, et le composé théandrique, qu’est la personne du Verbe incarné. Dans l’une comme dans l’autre analyse, le principe fondamental est le même : Cuicumque formae substernitur aliquod ens actu quocumqne modo, illa forma est accidens.