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THOMISME

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rait cheminer seule sans beaucoup de lenteur et de faux pas.

L’article 2 aflirme le caractère scientifique de la doctrine sacrée. « Il y a deux genres de sciences. Les unes procèdent de principes connus par la lumière naturelle de l’intelligence : ainsi l’arithmétique, la géométrie, et autres semblables. Les autres procèdent de principes connus par la lumière d’une science supérieure : ainsi la perspective emprunte ses principes à la géométrie ; la musique emprunte ses principes à l’arithmétique. Ainsi en est-il de la doctrine sacrée. Elle emprunte ses principes à une science supérieure, la science qui appartient en propre à Dieu et aux saints. Comme la musique s’appuie sur des principes établispar l’arithmétique, ainsi la doctrine sacrée s’appuie- t-elle sur des principes révélés par Dieu. »

L’article 3 précise l’unité de cette science. Unité résultant de son objet formel. La science sacrée considère toutes choses du seul point de vue de la révélation divine.

L’article 4 distingue une double portée de la science sacrée : spéculative et pratique. Portée immédiatement et principalement spéculative, car elle s’occupe de Dieu. Portée pratique aussi, car elle ordonne l’homme à la parfaite connaissance de Dieu, en quoi consiste son éternelle béatitude.

L’article 5 revendique l’éminente dignité de cette science. Supérieure à toutes les sciences spéculatives, soit par la certitude de ses affirmations, soit par la dignité transcendante de son objet. Supérieure à toutes les sciences pratiques, par la lin où elle tend et qui est l’éternelle béatitude de l’homme.

L’article 6 marque le caractère propre de cette science, non pas tant science que sagesse. Le propre de la sagesse est d’ordonner et de juger. La science théologique réalise excellemment ce double programme. D’une part, elle ordonne toute vie humaine vers la fin suprême qui est Dieu. D’autre part, elle juge toute créature selon la science que Dieu communique à l’homme par révélation spéciale.

L’article 7 souligne le sujet proprede cette science : Dieu, considéré soit pour lui-même, soit comme principe ou fin de toutes choses. Les sujets qu’on lui a parfois assignés, de divers points de vue : les choses et les signes ; la rédemption ; le Christ, doivent être réduits à l’unité du point de vue divin.

L’article 8 assigne, dans la science sacrée, le rôle de l’argumentation, qui lui donne son vrai caractère, i Toute science argumente, non pour prouver ses propres principes, mais pour établir, d’après ces principes, d’autres vérités ; ainsi la science sacrée argumente, non pour prouver ses propres principes, qui sont les articles de foi, mais pour établir des conclusions ultérieures. Ainsi l’Apôtre argumentet-il, de la résurrection du Christ (I Cor., xv), pour prouver la résurrection commune. Mais il y a lieu d’observer qu’entre les sciences philosophiques, les moins élevées ne s’occupent pas de prouver leurs principes, ni de les défendre contre qui les attaque, mais abandonnent ce soin à une science supérieure ; la plus haute de toutes, qui est la métaphysique, discute bien contre celui qui nie ses principes, si toutefois il concède quelque chose ; mais s’il ne concède rien, elle ne peut discuter ; toutefois elle peut réfuter les arguments qu’on lui oppose. Ainsi en va-t-il de la science sacrée. N’ayant pas de science qui lui soit supérieure, elle discute contre ceux qui nient ses principes ; en argumentant, si l’adversaire concède quelqu’une des vérités connues par révélation : ainsi argumentons-nous à partir des

textes scripturaires contre les hérétiques, et à partir d’un article de foi contre ceux qui en nient un autre. Mais si l’adversaire n’admet aucun point de la révélation divine, il n’y a plus d’arguments possibles pour prouver les articles de foi ; on ne peut que réfuter les arguments que l’incrédule apporte contre la foi. Car, la foi s’appuyant sur la vérité infaillible, aucune vraie démonstration ne peut se produire contre elle ; donc il est clair que les arguments apportés contre la foi ne sont pas démonstrations, mais arguments qu’on peut réfuter. »

Les articles 9 et 10 indiquent au théologien l’attitude à garder en face de l’Ecriture sainte, où sont consignés les enseignements divins. Il faut savoir découvrir la vérité divine sous les figures, qui en voilent l’éclat, par égard pour notre faiblesse. Il ne faut pas s’étonner d’y rencontrer plus d’un sens, car Dieu, auteur de l’Ecriture sainte, a pu enfermer sous un mot ou sous un signe divers enseignements.

De ces pages denses, ressort une doctrine précise.

Etabli dans la lumière de la révélation divine, le théologien pourra projeter cette lumière sur des points inaccessibles à la raison pure et conquérir de nouvelles vérités. Laissons de côté la théologie purement défensive ou apologétique, où il doit se borner à repousser les attaques de l’incrédulité ; considérons le domaine propre de la théologie, où des conquêtes positives sont possibles. Ce que les principes premiers de la raison sont à l’égard des vérités d’ordre naturel, les données de la révélation divine le sont à l’égard des vérités d’ordre surnaturel. Au point de départ de l’investigation théologique, on rencontre l’acte de foi. Aussi bien, le théologien est-il essentiellement un croyant ; il a part à la lumière que Dieu a communiquée à l’homme par révélation, et sa tâche consiste à promouvoir le rayonnement de cette lumière.

L’ayant accueillie dans son intelligence d’homme, il peut en diriger les rayons selon les procédés communs de l’intelligence humaine, et l’effort de son esprit sera l’instrument d’un progrès dans la diffusion de cette lumière.

L’effort comporte un double mouvement. D’abord une appréhension exacte de la donnée révélée. Puis le recours aux analogies d’ordre naturel, qui peuvent fournir un support à l* pensée, frayant la voie vers une compréhension plus large et plus profonde. Dans l’appréhension de la donnée révélée, l’homme sera plutôt passif : il s’agit d’une impression à rece- l voir docilement. Dans le recours aux analogies d’ordre naturel, il se fera actif, s’ingéniant pour reconnaître en divers champs les jalons de l’action divine et s’orienter vers une traduction plus fidèle. Il va sans dire qu’une juste appréhension préalable de la donnée révélée est la condition sine qua non d’une orientation féconde.

Tel est le programme esquissé par saint Thomas dès le prologue du Commentaire sur les Sentences (vers 12ÔG), repris et développé dans le Commentaire sur Boèce De Trinilate (1257-8), arrêté enfin dans la Somme (1267-8).

On pourrait en étudier la réalisation à travers toute l’œuvre théologique de saint Thomas. Mais il faut ici nous borner, et le travail perdrait en profondeur ce qu’il gagnerait en étendue. Plutôt que de disperser notre effort, nous nous attacherons à un exemple insigne. Nous nous proposons de vérifier dans un cas concret cette vérité parfois méconnue : que la doctrine de saint Thomas est une métaphysique, très haute, très originale, très une, ou qu’elle n’est pas.