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THOMISME

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dent. Cet énoncé suggère immédiatement que substance et quantité somt choses distinctes ; et les théologiens admettent communément cette distinction ; mais beaucoup ne conçoivent la quantité que par sa relation à l’espace. Donnant congé à l’imagination, saint Thomas conçoit la quantité par sa relation immédiate à la substance : principe de distinction en parties homogènes ; la relation à l’espace étant purement conséquente. La conception est simple autant que fondée ; pour la recommander, il suflii des expériences de condensation et de raréfaction, qui invitent à disjoindre les notions de quantité substantielle et d’extension spatiale. Mais la substance n’entre en relation avec l’espace que par le moyen de la quantité ; dépourvue de quantité, elle serait, par là même, dépourvue de lien essentiel avec l’espace, tout comme les purs esprits. Affectée de quantité, elle est en fait liée à une portion définie de l’espace, et cette collocation circumscriptive est unique. La substance ainsi située n’est plus susceptible que d’une multilocation non quantitative, par multiplication du contenant extérieur. Mais ceei déborde toute expérience.

[XI]. Principe de division et de multiplicité, la matière quantitative devient, par là-même, principe d’extension numérique dans l’espèce. Les esprits angéliques, sans lien avec la matière, sont, par la spiritualité de leur essence, constitués en autant d’espèces. Chacun d’eux, épuisant l’idée de sa nature spécifique, est un type parfait en soi. Il en va autrement du type humain. L’âme humaine est destinée à l’union avec la matière ; spirituelle par essence, elle n’en est pas moins engagée dans les liens du corps. Cette condition de sa nature rend possible la multiplication dans l’espèce : les diverses portions de matière attribuées aux âmes sont leurs principes d’individuation. Ainsi en est-il de tous les êtres composés de matière.

[X1IJ. La doctrine scolaslique de la quantité engage toute la théorie du mystère eucharistique ; et ici les théologiens divergent profondément. Ceux qui, à la suite de Scot, conçoivent la quantité par sa relation à l’espace, sont inclinés à voir dans la transsubstantiation une action exercée sur le corps du Christ et aboutissunt à une multilocation réelle. Ceux au contraire qui, à la suite de saint Thomas, conçoivent la quantité par sa relation à la substance, sont inclinés à voir dans la transsubstantiation une action exercée d’abord sur les substances sacramentelles, et terminée ultérieurement au corpsdu Christ, immuable dans sa quantité propre et dans les conditions de sa présence circumscriptive. Ils admettent simplement que les espèces sacramentelles, vidées de leur propre substance, acquièrent une relation de contenance à l’égard du corps immuable du Christ.

[XIII]. Le fait de la vie organique, inexplicable par un pur mécanisme, constitue les plantes et les animaux dans un ordre à part. L’activité vitale requiert deux conditions essentielles : la constitution par parties hétérogènes et l’influence d’un principe spécilique, source de mouvements immanents. Liée à l’organisme, la vie se transmet par l’organisme. L’hypothèse de la génération spontanée, prise aujourd hui eu défaut par la biologie expérimentale, n’est pas seulement fausse, mais absurde, car le plus ne peut sortir du moins. Elle n’a régné dans les écoles du moyen âge qu’en apparence, moyennant un correctif qui suffisait à en exclure l’absurdité : en faisant intervenir l’influence mystérieusement fécondante des corps céle-tes, les anciens faisaient preuve d’une naïve ignorance, mais ils montraient qu’ils ne prétendaient point trouver dans la ma tière brute, comme telle, le germe de la vie. La cause prochaine de la vie, c’est l’àme, acte substantiel du composé.

[XIV |. La conception animiste, qui scinde l’être vivant en moteur (l’àme) et mobile (le corps), méconnaît la vraie nature de la vie, qui n’appartient pas à l’àme seule ni au corps seul, mais au composé. La vie purement végétative ou sensitive n’exige, comme telle, qu’une àme liée à la matière Une àme substance simple et subsistant par elle-même exigerait une opération plus haute, répondant à la perfection de sa nature ; une telle àme serait nécessairement intellectuelle. L’âme végétative ou sensitive, forme essentielle du composé, principe de développement d’abord, puis de mouvement, coordonne et anime tout. D’ailleurs, incapable d’agir à part, elle se révèle incapable aussi d’exister à part ; dépendante de l’organisme, elle se dissout avec lui.

[XV]. Tout autre est l’àme humaine, indépendante de la matière dans certaines de ses opérations, et donc aussi dans son être. La conscience témoigne que l’àme forme des concepts et prononce des jugements, qu’elle prend des résolutions : autant d’actes qui dénotent sa nature spirituelle. Platon l’avait bien compris, et s’élevant d’un coup d’aile à la vraie patrie des âmes, il osa affirmer que les âmes ici-bas sont captives et souffrent violence. C’était dépasser le but etméconnaître la nature, qui se révèle à nous par des expériences irrécusables. Les vues plus sobres d’Aristote rétablissent la vraie notion du composé humain. Mais il restait à comprendre que la dignité de l’homme requiert, à l’origine, une intervention directe du Créateur, infusant l’àme spirituelle dans l’organisme convenablement préparé. Cette vérité, qui tint en suspens le génie de saint Augustin, prend chez saint Thomas son plein relief. La Genèse la suggère, en montrant le Créateur soufflant à la face d’Adam un souffle de vie. Et la raison la démontre. A l’origine de l’àme, doit répondre sa fin. Comme elle vient au composé du dehors, et n’en dépend pas intrinsèquement, elle survit au composé. Or l’immortalité de l’homme est un pointde foi. Donc aussi sa création, conclut saint Thomas. I » q. 118a. i.

[XVI]. La conscience rend encore un autre témoignage. Elle dépose que, outre ses actes proprement spirituels, l’homme a des sensations étendues ; que les sensations affectent le même moi d’où procèdent les jugements et les résolutions ; qu’une même àme est le principe des uns et des autres. Ce témoignage invite à restaurer l’unité du composé humain, brisée par un faux spiritualisme ; à reconnaître la multiple activité de l’àme, agissant comme esprit dans l’ordre spirituel, eteomme principe vital dans l’ordre de la vie sensitive et végétative.

Saint Thomas pousse encore plus loin. Il observe que l’homme n’est vraiment constitué comme tel que par l’àme qui l’anime ; que la vie n’est pas un simple épiphénomène du corps organisé vivant, mais la condition même de son être humain. Il a d’ailleurs appris à l’école d’Aristote que la substance, une fois constituée dans l’acte qui lui est propre, n’est plus susceptible d’un acte substantiel, mais seulement d’actes accidentels. Appuyé sur ce principe et sur les observations qui précèdent, il ose affirmer que l’àme spirituelle, unique forme substantielle du corps, lui apporte non seulement la vie organique, mais l’être même. Cette conclusion, qui déborde le sens de la future déûnition du Concile de Vienne, n’intéresse pas directement la foi catholique ; mais elle intéresse grandement l’harmonie et l’unité de l’édifice thomiste.