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THOMISME

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esse, nulla earum est ipsum esse… sed est habens esse… Hoc autem non potest esse nisi unum, quia, si ipsum esse nihil aliudhabet admixtum præter id quod est esse…, impossibile est id quod est ipsum esse multiplicari per aliquid diversificans ; et quia nihil aliud præler se habet admixtum, consequcns est quod nullius accidentis ait susceptivum. Hoc autem simplex unum et sublime est ipse Deus.

[IV]. La transcendance de l’Etre divin ne permet pas d’affirmer l’être, sous une raison commune, de Dieu et de la créature, comme on affirme une même raison générique de deux espèces, ou une même raison spécifique de deux individus. On affirme de l’homme et du lion la raison générique d’animalité en un sens commun, univoque ; on affirme de deux individus humains la raison spécifique d’humanité en un sens univoque ; on ne peut pas affirmer de Dieu et de l’homme l’être au sens univoque. Pourtant, ce n’est pas un terme simplement équivoque, tel que serait par exemple l’appellation de chien, donnée d’une part à un animal, d’autre part à une constellation céleste ; il y a réellement de l’être dans l’homme ; être réel, encore qu’amoindri et participé. Pour désigner ce milieu entre l’univociti pure et l’équivocité pure, la langue scolastique emploie le terme d’analogie, qui marque une certaine participation déficiente. L’analogie est double : analogie de proportionnalité, qui implique une participation au sens propre, encore qu’inégal ; analogie d’attribution, au sens impropre, qui implique seulement une certaine relation à un terme principal. Ainsi la santé appartient proprement à l’organisme ; mais par analogie d’attribution, on parlera d’un régime sain, parce qu’il procure la santé. L’analogie de l’être n’est pas de pure attribution, mais bien de proportionnalité.

Affirmer l’être au sens univoque, de Dieu et de la créature, serait verser dans le panthéisme. L’afûrmer au sens purement équivoque, serait méconnaître la réalité du monde et, par une voie diamétralement opposée, aboutir au panthéisme. L’analogie de l’être montre la seule voie d’un langage correct, qui fuit l’un et l’autre extrême.

[VJ. L’observation vulgaire signale, dans la réalité concrète, un fond de nature qui demeure, sous le flux incessant des phénomènes. Ce fond permanent est la substance, les phénomènes transitoires sont les accidents. La philosophie du devenir, qui brouille substance et accident, méconnaît l’expérience sensible ; elle contredit encore le témoignage de la conscience, qui affirme l’identité du moi, fondement de toute vie morale. Or, les accidents n’ont pas de prise sur l’être comme tel, mais bien sur l’essence, sous-jacente à l’être, avec laquelle ils composent et lui confèrent un être de surcroît.

[VI]. Accidents absolus, inhérents à la substance ; accidents relatifs, dont tout l’être propre est un rapport et comme un regard d’être à être. Relations transcendantes, fondées sur la substance même : tout être dit, par tout lui-même, relation à la Cause première. Relations prédicamentales, fondées sur tel accident.

[VII]. La simplicité parfaite est la prérogative incommunicable de la divinité : Etre pur identique à son essence. Par ailleurs, il existe des formes subsistantes, entièrement simples par essence, ce sont les anges, purs esprits. Dans l’ange, nulle composition, que d’essence et d’être. Toutefois, la simplicité de l’essence angélique n’exclut pas les accidents spirituels : puissances actives, ordonnées à l’action et objectivement distinctes ; actes émanant de ces puissances, comme expansion de leur vie.

[VIIIJ. De la substance créée en général à la

substance corporelle en particulier, la pensée thomiste procède selon une inspiration constamment fidèle à elle-même. La théorie de la substance composée réellement d’essence et d’être, se reflète dans la théorie du corps, composé, réellement aussi, de matière et de forme. Comme l’être est l’acte de l’essence, la forme est l’acte de la matière. Les difficultés reprochées à la première théorie se représentent, pour une large part, dans l’examen de la seconde ; et la cohérence des solutions fait saillir la profonde unité de la doctrine.

Marquée au coin d’un réalisme très ferme, cette théorie pose d’abord en fait que ce qui existe, c’est proprement le corps, donc le composé. Or le spectacle des mutations qui se produisent dans le corps impose la considération d’un je ne sais quoi qui est le sujet de ces mutations et qu’il faut bien affirmer, quelque peine qu’on éprouve à le définir. On ne saurait l’obtenir à l’état libre, car il n’existe que par la vertu d’un principe changeant et donc distinct, qui le détermine actuellement à telle concrétion particulière. D’autre part, le même spectacle impose la considération de ces principes actifs qui se succèdent et qu’on ne saurait pas davantage obtenir à l’état libre, mais qui déterminent le sujet commun. Donc en somme, le spectacle des mutations qui se produisent dans les corps impose la considération d’un certain dualisme — dualisme de matière et de forme.

[IX]. Aristote a bien vu qu’il faut renoncer à concevoir la matière prime sur le modèle des réalités complètes qu’on rencontre dans la nature ; car elle n’est strictement semblable à rien. A l’exemple <V Aristote, saint Augustin et saint Thomas s’accordent à dire que la matière prime n’est nec quid, nec quale, nec quantum, et à lui refuser tout acte entitatif défini par lui-même. Si l’on repousse cette conclusion, il est inévitable qu’on se mette l’imagination à la torture, sans réussir à étreindre la puissance passive qui se dérobe. On n’atteindra pas davantage les principes actifs dont toute l’essence est de déterminer la matière et qu’on ne saurait concevoir en dehors d’elle. Il n’y a qu’une issue : afflrmer quand même la réalité des composants, qui existent dans et par le composé.

On voit immédiatement la conformité de cette conclusion avec la conclusion déduite au sujet de l’essence et de l’existence. Comme on se flatterait en vain d’isoler par expérience la matière privée de toute forme, ou la forme matérielle privée de matière, en vain se flatterait-on d’isoler l’essence privée d’être ou l’être privé d’essence. Entre les deux théories parallèles, la principale différence est le degré supérieur d’abstraction qui caractérise la théorie de l’essence et de l’être. Une différence secondaire est la corrélation plus étroite entre l’essence et son être connaturel qui est unique, moins étroite entre la matière et les formes substantielles qui sont interchangeables. Cette double différence rend la distinction réelle d’essence et d’être plus déconcertante encore pour notre imagination et, en quelque sorte, moins pensable pour notre esprit. Mais au fond, la difficulté n’est pas d’autre nature, et si l’on a tant fait que de suivre saint Thomas jusqu’à la théorie de la matière et de la forme, la logique invite à ne pas reculer devant la théorie de l’essence et de l’être.

— Cf. Bruno dkSolages. l.e procès de la Scolastique, p. 33. Saint Maximin, [928.

[X]. La considération de la substance corporelle introduit immédiatement la considération delà quantité, principe prochain d’extension et de divisibilité. Par substance, on entend l’être qui existe en soi ; par quantité, l’extension de la substance, donc un acci-