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THOMISME

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cendance absolue. Au-dessous de lui, il n’y a que participations Unies à son infinie perfection ; et dès lors, composition de puissance et d’acte. L’Etre pur et simple, qui s’affirme comme toute perfection, est nécessairement unique.

La distinction réelle, dans toutle fini, de l’essence et de l’être, apparaît dès lors comme un corollaire de la transcendance divine. Nous retrouverons cette conclusion dans une perspective différente.

Et voici d’autres corollaires.

A cet Etre infini, on ne peut refuser l’activité. La raison humaine voit cela évidemment, mais se trouble devant le mystère. La foi passe outre, et découvre en Dieu la production, par réflexion sur lui-même, d’un Verbe mental. Elle découvre encore une complaisance de Dieu en ce terme de son activité intellectuelle : de cet amour réflexe, l’Esprit-Saint est le fruit. La procession divine ne suppose pas un terme distinct, elle le pose. Et voilà l’opération nécessaire en Dieu.

Par son Verbe, Dieu connaît tout l’être ; par son Amour, il aime tout l’être. Hors de Dieu, il n’y a que production libre d’effets contingents. La philosophie grecque, après avoir atteint le concept du premier Moteur, s’arrêta court, incapable de s’élever jusqu’au concept de création. Grave détriment pour l’idée de Dieu. Platon et Aristote surent poser des principes, non déduire les conséquences ; leurs disciples, demeurés aux prises avec l’idée d’un monde éternel, se débattirent pendant des siècles parmi les nuages d’un panthéisme plus ou moins avoué. Il faut en venir à poser la transcendance de Dieu dans l’opération comme dans l’Etre : c’est ce que fait saint Thomas, en développant le dogme de la création ex nihilo : opération propre de Dieu, incommunicable à toute créature, fût-ce à l’humanité du Christ. Il n’appartient qu’à Dieu de produire sans donné préalable.

[XXIV] Elevé, par la pureté de son Etre nécessaire, au-dessus de tout le possible, Dieu est en lui-même le fondement de toute nécessité extérieure et de toute possibilité. Par son opération, il est Cause efficiente de toute réalité. Il intervient dans l’opération de toute créature, portant l’agent créé à l’exercice même de l’acte qui lui est propre ; hiérarchisant les causes ; versant dans chaque effet l’être, qui, en même temps qu’il est l’effet qualifié de toutes les causes secondes, demeure l’effet propre et universel de la Cause première.

Dès lors il apparaît clairement que l’Etre au sens plein du mot, qui constitue l’essence du premier Moteur, de la première Cause, l’Etre nécessaire, imparticipé, principe universel d’ordre dans l’être et dans le devenir, ne saurait être identiquement l’être qu’on retrouve dans les diverses réalités de ce monde. Et ceci condamne tout panthéisme.

On comprend aussi la vanité de tout effort pour retrouver hors de Dieu une réalité absolument simple. Car la simplicité absolue ne va pas sans l’infinité. L’intelligence humaine peut bien creuser la notion d’Etre sans jamais en toucher le fond, dès lors qu’elle s’en prend à l’idée de Dieu. Car Dieu est l’océan sans fond ni rivage de l’Etre imparticipé, nécessaire. Mais si l’intelligence humaine passe de l’océan sans fond aux diverses lagunes de l’être participé, contingent, la sonde ne peut pas ne pas rencontrer un fond, qui n’e6t pas simplement de l’être, mais s’oppose à l’être. Ce quelque chose d’hétérogène, qui s’oppose à l’être de soi indéterminé, c’est l’essence qui le détermine. L’analyse de toute réalité créée ramène cette distinction réelle entre l’essence et l’être, commune à tout ce qui n’est pas Dieu.

Nous nous garderons bien de dire que cette distinction est le fondement de toute métaphysique. Car le fondement de toute métaphysique, ce sont les données premières de la raison, sur lesquelles tous les hommes sensés doivent se mettre d’accord, préalablement à toute systématisation. Assez de penseurs distingués, avant et après le xine siècle, ont construit sur ce fondement, et quelquefois porté très haut leurs constructions, sans rencontrer la distinction thomiste de l’essence et de l’existence. Disqualifier ces penseurs, en leur déclarant qu’ils ont construit en l’air, serait parole outrecuidante et vaine. Respectons leur utile travail. Mais s’agit-il de systématisation thomiste, il nous paraît évident que la logique du système requiert cette clef de voûte, et qu’à vouloir s’en passer, on s’ôle le moyen de réaliser une construction habitable. Inutile d’insister sur la diversité des métaphores, quelquefois confondues par tel auteur dans une mêmepage. Un fondement n’est pasuneclef de voûte, et une clef de voûte n’est pas un fondement. Nous croyons devoirnier que la distinction réelle de l’essence et de l’être soit le fondement de toute métaphysique. Mais nous ne craignons pas d’affirmer qu’elle est la clef de voûte nécessaire d’une métaphysique proprement thomiste.

[I. II]. Le dualisme essence et être, que la considération de l’essence divine a fait pressentir comme un caractère delà réalité finie, n’est d’ailleurs qu’un cas particulier du dualisme puissance et acte, capacité de perfection et perfection acquise. L’Acte pur est le principe de toutes choses ; pour se communiquer par des actes défini ?, il a besoin de rencontrer des puissances qui les définissent. Puissances passives, dont tout le rôle est de recevoir : telles les essences créées. Puissances actives, en qui la Cause première a déposé une vertu causale : telles les facultés de l’àme humaine. Dans un ordre quelconque il ne saurait y avoir d’acte pur que l’acte imparticipé, par la-même unique. L’intelligence subsistante et imparticipée est nécessairement une et infinie ; c’est Dieu même. La bonté subsistante et imparticipée est nécessairement une et infinie : c’est Dieu même. Poussant tout droit son raisonnement, saint Thomas applique le même principe à une notion assez disparate et forge un être irréel : la blancheur subsistante et imparticipée ne pourrait être qu’une et infinie. Cette exigence de l’être imparticipé, subsistant et unique, constitue le résidu vrai de la théorie des Idées subsistantes, rêve grandiosede Platon. De telles idées subsistent en Dieu, toutes confondues dans l’Unité de l’Etre pur.

L’idée d’une limitation de l’acte par lui-même peut se présenter à l’esprit, mais ne résiste pas à l’examen, soit que l’on considère la ligne de la causalité efficiente, soit que l’on s’attaque à la ligne de la causalité formelle. Selon la ligne de la causalité efficiente, l’hypothèse répugne métaphysiquement.car un effet ne saurait être à lui-même sa propre cause. Selon la ligne de la causalité formelle, la répugnance n’apparaît pas moindre ; car l’acte, comme tel. dit positivement acte, et rien d’autre ; seule une négation d’être peut limiter l’acte, par lui-même indéiîni. On peut lire l’article, suggestif, autant que modeste, du R. P.P. Gény, Le problème métaphysique de la limitation de l’acte ; Bévue de Philosophie, igig.p. iag-156. Voir aussi l’ouvrage, toujours instructif, du R. P. Klrotgkn, La Philosophie scolastique exposée et défendue, trad. fr. par C. Sierp, VIe dissertation, c. h. t. II, Paris, 1869.

|III] C’est pourquoi Dieu seul subsiste dans l’absolue raison d’être, lui seul est parfaitement simple ; toutes les autres choses, qui participent à l’être,