Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/833

Cette page n’a pas encore été corrigée

1653

THEOLOGIE MORALE

1654

drc VII et d’Innocent XI ont été acceptées par la théologie morale — et acceptées avec une telle bonne volonté qu’elle s’est portée vers un rigorisme très marqué, dont saint Alphonse aura grand’peine à la faire revenir.

Le Jansénisme était une école et un système : sa résistance l’a bien montré. Où était vraiment l'école du laxisme ? Les trois premières propositions condamnées par Innocent XI (D. B., 1151-3) — surtout la troisième — étaient à peu près les seules assez générales pour (aire de celui-ci un système, elles n’avaient été professées, semble-t-il, que par peu d’auteurs et passagèrement.

La chose eût été différente si le probabilisme avait été vraiment condamné par l’Eglise. Et Bossuet. après Pascal, le croyait condamnable, comme contraire à la tradition et à la morale chrétienne. En cela il se trompait. Au reste, avec sa belle simplicité d'àme, tout imprégnée des Pères, vivant quelque peu par le cœur dans leur temps, il ne s’est pas rendu compte que le danger de l’avenir était moins dans la morale prétendument relâchée des casuistes, mais bien plutôt dans le libertinage et dans le rigorisme janséniste, qui par ses exigences exagérées ne servait que trop ce libertinage.

Surtout il n’a pas vu que, dans la théologie morale, il ne suffit pas de reconnaître les principes, qu’il faut encore les appliquer aux circonstances : si les premiers ne varient pas, les secondes peuvent parfois quelque peu changer avec la vie et déterminer ainsi des conclusions, non pas contraires ou opposées entre elles, mais différentes. L’effort des casuistes allait dans cette direction, parfois, nous le reconnaissons, avec quelque excès : ils cherchaient, — et en ce point leur sens théologique était supérieur à celui de leur génial critique, — quelles solutions chrétiennes donnera des problèmes nouveaux. Il ne s’agissait pas de contredire les Pères et de modifier l’Evangile, mais bien de reconnaître ce que, placés dans la vie moderne, les Pères auraient enseigné, ce que les règles éternelles de l’Evangile demandaient de faire en nos âges.

5° Cette remarque donnera aussi, croyons-nous, une réponse suffisante à ceux qui, comme M. Bayet, prétendent trouver des contradictions entre la théologie morale moderne et l’Evangile. Qu’ils prennent d’abord la peine d'étudier et de comprendre ce dernier, de ne pas disjoindre ses maximes : elles s'éclairent et se complètent les unes les autres. De plus, elles sont le plus souvent générales ; or il est très facile de trouver entre un principe général et une conclusion extrême une opposition apparente : il nous est défendu de tuerie prochain, et cependant le soldat peut le faire vis-à-vis de l’ennemi qui attaque sa patrie. C’est nier la complexité de la vie morale et le rôle des circonstances dans la solution îles cas, que de voir là une opposition qui n’existe pas.

6° Ceux, qui, aux siècles passés, ont défendu la casuistique contre ses détracteurs, en ont souvent appelé à la vie et aux exemples personnels des casuistes et de leurs disciples. Déjà les Jésuites répondaient aux jansénistes : voyez tous les bons confesseurs, les missionnaires, les ouvriers apostoliques, les saints et les martyrs qui ont tenu et pratiqué ce'.te théologie morale que vous prétendez mauvaise et nocive ; aux fruits reconnaisse la valeur de l’arbre… Escobar était un homme très mortifié et ses tendances passaient pour trop sévères en Espagne. Bourdaloue avait enseigné quelque temps la casuistique, avant de s’en inspirer et de la défendre dans ses sermons. A ces exemples nous pourrions ajouter saint Alphonse de Liguori : il serait difficile de

l’accuser de duplicité, lui qui abandonna le barreau pour s'être aperçu de la difficulté qu’on y rencontrait à servir parfaitement la vérité, et qui toute sa vie chercha rigoureusement à pratiquer ce qu il enseignait.

Mais, au xixe siècle, nous avons mieux encore : un grand saint, sans contredit le plus grand ministre du sacrement de pénitence en son temps, le curé d’Ars, Jkan-Marib-Baptistk Viannky. Son confessionnal était devenu un lieu de pèlerinage où, <ie toutes les régions de la France, et même des pays étrangers, affluaient des milliers de pénitents. Or, sa vie, mieux connue dans les détails depuis le récent ouvrage de l’abbé Trochu(Z.e curé d’Ars, 1926), nous le montre non seulement sans mépris pour les leçons de la théologie morale, mais encore s’efforçant de se former par elles et utilisant la casuistique liguorienne pour le plus grand profit des âmes.

Il n'était nullement un faible d’esprit ou un pauvre d’intelligence, connu » auraient pu le croire ceux qui prenaient à la lettre ses protestations d’humilité. Mui s n’ayant fait ses premières classes que d’une manière sommaire et intermittente, possédant mal le latin, il éprouva de grandes difficultés à s’assimiler l’instruction théologique requise pour les ordres sacrés. Il dut repasser l’examen canonique qui précède la prêtrise et ne reçut les pouvoirs de confesseur que plusieurs mois après sa nomination de vicaire à Ecully (pp. 108-109). Pendant les premiers hivers de son ministère dans cette paroisse puis à Ai s, la théologie morale devint une de ses 'éludes ; elle lui fut facilitée par un ouvrage français de Mgr, depuis Cardinal, Gousset (Théologie morale, 2 vol., édition de 1845). C'était un résumé de saint Alphonse : l’un des effets de cette Otude fut d’adoucir le rigorisme dont le saint curé usait encore comme la plupart des confesseurs d’alors ; on ne le vit plus ramènera son tribunal le même pécheur jusqu'à cinq, six et sept fois (p. 349 sq.).

Sans nul doute, plus que la théologie alphonsienne, le Saint-Esprit fut son maître, — un maître qui lui fit dépasser la casuistique scientifique et nous donna l’admirahle confesseur, le directeur sans pareil qu’il devint. L «  curé d’Ars témoigne cependant de la bienfaisance de la formation traditionnelle, à laquelle il fut toujours docile, qu’il ne renia jamais : ses confrères et son évêque constataient que dans les cas difficiles, ses solutions, inspirées d’en haut, étaient conformes à celles des maîtres humains (p. 329). Il reste ainsi pour la honte de la casuistique moderne un défenseur et un apologiste, qu’on peut présenter contre tous ceux qui l’attaquent ou la méconnaissent.

CONCLUSION

Parmi les caractères de la théologie morale, nous n’avons pas manqué de marquer celui d'être progressive. C’est en essayant d’indiquer vers quels progrès elle semble devoir s’orienter dans l’avenir, qu’il faut terminer cet exposé.

Cesdernières observations satisferont, on l’espère, à certaines demandes et à certaines craintes que nous signalions plus haut comme venant de ses amis.

Certes, non moins qu’autrefois, la théologie morale n’est pas, de nos jours, sans défauts.

Si beaucoup des attaques et des critiques dirigées contre « lie nous paraissent injustes ou exagérées, elle est tout de même, ainsi que toute œuvre humaine, imparfaite et sujette à l’erreur.

Elle doit redoubler d’efforts dans l’examen des solutions reçues, dans la recherche d’une vérité plus complète et plus nuancée.

Elle gagnera — et beaucoup d’auteurs s’y efforcent, — tout en restant casuistique à l'école de saint Alphonse, à développer son exposé des principes en s’inspirant de saint Thomas. Elle devra — l’attrait de nos âges pour les études sur la vie spirituelle y invite — noter de plus en plus les con-