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THÉOLOGIE MORALE

Dans la Somme de saint Thomas, exposés dogmatiques et exposés moraux se trouvaient réunis ; mais ils étaient présentés de telle manière qu’il n’était pas difficile de les disjoindre : c’est ce que réalisa, deux siècles plus tard, pour les exposés moraux, saint Antonin de Florence (t 1459) ; sa Somme Théologique est le premier grand ouvrage qui, n’embrassant que la théologie morale, tente de la traiter dans toute son ampleur. Ce que saint Thomas n’avait fait qu’en passant et pour quelques points, saint Antonin s’efforce de l’étendre méthodiquement à toute la matière morale : il descend jusqu’aux applications plus immédiates et unit ainsi à la méthode scolastique la méthode casuistique. Dans l’usage de cette dernière, il s’inspire des Sommes pratiques, déjà composées pour l’utilité des confesseurs, et qui se rattachaient elles-mêmes aux livres pénitentiaires de l’ancienne Eglise [1]. C’est dans ce sens casuistique que va se développer surtout, à partir du xvie siècle, la théologie morale.

D) L’époque de réaction catholique, qui suivit la Réforme protestante, vit une intense renaissance des études théologiques. Les Dominicains de Salamanque en avaient été les initiateurs. Les Jésuites en furent sans contredit parmi les ouvriers les plus actifs. Le Concile de Trente avait victorieusement défendu contre les novateurs la doctrine traditionnelle des sacrements ; la pratique de ces derniers, en particulier celle de la confession, se développe dans le monde catholique. Pour former et aider les confesseurs, les Jésuites propagent dans leurs collèges deux institutions, qu’ils n’avaient au reste pas créées : l’enseignement et la discussion des cas de conscience (voir de Blic, 'Dict. de théologie cath., art. Jésuites (morale), col. 1069 sq.).

Dans la Compagnie de Jésus, dans les autres ordres religieux et le clergé séculier, quantité d’auteurs écrivent sur les matières morales, généralement en s’efforça nt de descendre le plus possible à la pratique.

Ils composent soit de grands traités, où toute la morale est exposée dans son ensemble, soit des études consacrées à des points particuliers ; parfois, principes et applications sont les uns et les autres détaillés ; parfois, et plus souvent à partir du xviie siècle, rappelant brièvement les premiers, ils s’étendent sur les secondes avec un luxe de détails qui nous étonne aujourd’hui. Afin d’être utiles à tous, même à ceux des confesseurs qui n’ont pas le loisir ou la force de compulser les gros ouvrages, certains tentent des résumés du travail accompli, des Sommes abrégées, où l’on peut facilement trouver la solution des difficultés qui se présentent.

La plupart de ces ouvrages, spécialement les Sommes de cas, 9’en tiennent aux commandements et aux péchés : de tels travaux sont avant tout destinés à aider le confesseur dans l’accomplissement de son office de juge ; ils laissent donc de côté tout ce qui concerne la perfection chrétienne, ou même ils insistent moins sur ce qui se rapporte à l’exercice non commandé ou ordinaire des vertus ; ce sera la matière de l’ascétique et de la mystique, dont la théologie morale se trouve de plus en plus distinguée.

Parmi les moralistes importants de cette époque, citons, sans prétendre établir une nomenclature complète (la date est celle de leur mort) : Dominicains, Cajetan 1534, Victoria 1546, Dominique Soto 1560, Ledesma 1616, Gonet 1681, Jésuites, Tolet 1596, Em. Sa 1596, Molina 1600, Vasquez 1604, Azor 1608, Sanchez 1610, Suarez 1617, Filliucius 1622, Lessius 1623, Castropalao 1633, Coninck 1637, Laymann 1635, Lugo 1660, Tamburini 1675, — autres ordres ou clergé séculier, Azpilcueta (Navarrus ) 1587, Bonacina 1631, Sylvius 1649, Marchant O.F. M. 1661… Et du grand nombre des sommistes casuistes, retenons au moins celui qui, au milieu du xviie siècle, plus heureux que l’infortuné Escobar, t 1669, injustement ridiculisé par Pascal, réussit le mieux à remporter les suffrages de ses pairs, le jésuite Hermann Busenbaum, auteur de la Medulla Theologiæ moralis (1650) souvent réimprimée (40 éditions avant la mort de ce casuiste, 1668 ; plus de 200 de cette date à 1770) et commentée par Lacroix, saint Alphonse ou même, au xixe siècle, par Ballerini.

E) A peu près à l’époque où parut la Medulla, un violent assaut était dirigé en France contre la casuistique des Jésuites : commencé par les Protestants, d’abord mené sans grand effet par Arnauld, il trouvait avec Pascal et les Provinciales (1656-7) un éclatant succès ; il prétendait sauver l’Eglise d’un double péril, celui de la domination jésuitique et celui de la morale relâchée, du « laxisme ».

Ces attaques amenèrent l’Eglise à intervenir et à redresser ce que la casuistique catholique pouvait avoir de dangereux ou d’erroné. A trois reprises, les papes (Alexandre VII, 24 sept. 1665 et 18 mars 1666, 45 propositions ; Innocent XI, 2 mars 1679, 65 propositions ; D. B. 1101 sq. et 1291 sq.) firent condamner par le Saint-Office des séries de propositions empruntées ou attribuées par les adversaires à un nombre assez considérable d’auteurs.

La casuistique avait cru trouver dans le probabilisme un principe général de solution pour l’ensemble des difficultés pratiques ; elle n’avait pas encore la vue assez claire des limites à imposer à ce principe ; une réaction probabilioriste très accentuée balance le succès de ce système et paraît même à la veille de le faire rejeter de la théologie morale (voir dans ce Dictionnaire, art. Probabilisme(Histoire), col. 319 sq.).

F) Cependant un siècle ne s’était pas écoulé depuis les Provinciales, saint Alphonse de Liguori (1696-1787) était déjà au travail : commentant la Medulla de Busenbaum, révisant ses sources, critiquant et complétant ses solutions à la lumière des ouvrages plus récents [2] , il établissait l’inventaire des efforts faits jusqu’alors et des résultats acquis, et il composait sa Theologia moralis (1re édition, simples notes mises à la Medulla), qu’il ne cessait de perfectionner jusqu’à sa mort (9e édition 1785, reproduite dans l’édition Gaudé 1905-1912 avec indication contrôlée des sources) et qu’il complétait par un résumé plus pratique, l'Homo Apostolicus (1759) et par divers opuscules, en particulier la Praxis Confessariorum (1760).

Saint Alphonse fut violemment attaqué de son vivant par les tenants d’un rigorisme qu’il jugeait mortel aux âmes ; il dut voiler son probabilisme ou l’atténuer en un équi-probabilisme, qui se distingue

  1. 1. Les plus connues de ces sommes pratiques sont celle de S. Raymond de Pennafort (t 1275), Summa de Pœnitentia et de Matrimonio, dite Raymundiana, la Summa Astesana (vers 1330), la Pisana (1338) que devaient suivre la Pacifica (1470), l'Angelica d’Angelus de Clata IO (1486), solennellement brûlée pur Luther en même temps que la bulle du Pape et les Décrétales.
  2. 2. A la fin du xviie siècle et au xviiie, bien que la théologie morale ait fait davantage porter son effort sur le travail casuistique, elle ne manqua pas de grands moralistes, qui sont loin d’avoir négligé l’exposé des principes, — par exemple les jésuites Lachoix (mort en 1714), Antoine 1743, Reuter 1762, Voit 1780 ; les dominicains Billuart 1757, Concina 1756, Patuzzi 1769 ; les Carmes du Collège de Salamanque (Théologie morale dite des Salmanlicenses) 1717-1724 ; les franciscains Sporer 1714, Elbel 1756, Sasserath 1775, Luydl 1778 ; de diverses congrégations ou du clergé séculier, Roncaglia C. M. D. 1737, Habert 1718, Collet 1770, Amort 1775, Gerbert 1793. On peut leur ajouter Reiffenstuel O.S.F. 1703, Schmalzgrufber S. J. 1753 et Prosper Lambertini (Benoit XIV) 1758, plus célèbres comme canonistes.