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THEOLOGIE MORALE

il est naturel à l’homme de se divertir, et qu’il peut y avoir, même du point de vue moral, de bons divertissements. Nous devons au contraire aider les Comédiens à prendre conscience à la fois de leur dignité d’hommes, puis de chrétiens, et de l’espèce d’apostolat qui leur incombe du fait de leur profession. L’Union catholique du Théâtre essaye de répondre à cette haute préoccupation morale et religieuse.

Cependant la réforme spirituelle des Comédiens en appelle une autre beaucoup plus large et de plus liante portée, la réforme de la Comédie, et en général de tous les spectacles.

Mais ceci est une autre question et qui demanderait plusieurs articles. J’ai entendu dire qu’on y songe, qu’on y travaille, que des bonnes volontés se rassemblent pour cela, de tous les horizons de la pensée, et que le jour n’est peut-être pas éloigné, où en France, nous aurons un Théâtre, — fixe ou ambulant, peu importe, — qui démontrera à la face de l’Univers que l’Art, sans cesser d’être lui-même, peut devenir un excellent auxiliaire de la Morale, et qu’il n’y a pas de raison de les opposer plus longtemps l’un à l’autre, s’il est prouvé qu’en fait, comme en droit, ils ont tout à gagner à se rapprocher l’un de l’autre, non certes pour se confondre — ce serait désastreux, — mais pour s’unir, et en s’unissant, rehausser le coefficient de leurs forces respectives de spiritualisation.

M. S. Gillet, Maître en Théologie.


THÉOLOGIE MORALE. — La théologie morale a été dans le passé et se trouve encore actuellement parfois attaquée, ses méthodes critiquées, ses résultats contestés. Il peut donc être utile, dans un Dictionnaire Apologétique, d’indiquer brièvement sa vraie nature et de passer en revue quelques-unes des attaques dirigées contre elle ou des critiques qu’on lui adresse.

Pour une introduction plus complète à son étude, nous renvoyons aux ouvrages spéciaux, dont quelques-uns seront indiqués dans la bibliographie.

I. — Nature et caractères de la théologie morale

1. A prendre les mots dans leur sens étymologique, la théologie morale peut être définie la science sacrée des mœurs humaines, l’exposition raisonnée et méthodique de l’usage à faire de notre liberté d’après la Révélation chrétienne.

Notre Seigneur, venu en ce monde, n’a pas seulement enseigné des vérités à croire ; il nous a aussi appris comment agir pour entrer ici-bas et demeurer dans le royaume de son Père, acquérir et développer en nous la vie surnaturelle, mériter le bonheur du ciel. Ces vérités à pratiquer, ces règles de vie et ces moyens d’atteindre, par la charité et avec la grâce, notre fin dernière, constituent la morale chrétienne ; leur étude approfondie et logiquement ordonnée forme la théologie morale.

2. Cette définition générale, aussi précieuse qu’elle soit, ne peut suffire.

Il est d’autres sciences sacrées, qui, au moins sur des points particuliers, nous présentent des règles pratiques : le Code de Droit canonique prescrit dans les séminaires l’enseignement de ce même droit canonique, de la philosophie rationnelle, de la liturgie, de la pastorale (can. 1365) ; et l’on y joint souvent celui de l’ascétique et de la mystique. Comment se distinguent ces sciences de la théologie morale ?

Prise dans son sens large, — le sens étymologique que nous venons d’indiquer, — elle les comprendrait toutes et pourrait être considérée comme l’ensemble des règles chrétiennes de la vie, étudiées scientifiquement.

En fait, du moins de nos jours, elle a son objet spécial et plus délimité, ses caractères propres.

Quels sont-ils au juste ?

3. Une brève esquisse de son histoire permet, mieux que toute autre considération, de le reconnaître.

A) La Loi nouvelle, donnée par Notre-Seigneur à l’humanité, reprenait, confirmait, éclairait la loi naturelle et la loi mosaïque dans l’ensemble de leurs commandements moraux (Décalogue) ; elle leur ajoutait, outre un petit nombre de préceptes (sur les vertus théologales, l’Eglise, etc…), cet idéal de pauvreté, de chasteté, d’obéissance, d’humilité, de souffrance rédemptrice, qui constitue les conseils évangéliques ; en même temps qu’elle abolissait les dispositions cérémonielles de l’Ancien Testament, elle apportait tout un ensemble de moyens capables d’aider à mener cette vie supérieure (prières, rites, sacrements…) dans une société placée au-dessus des sociétés purement humaines (l’Eglise).

B) Les Apôtres, soutenus et éclairés par l’Esprit Saint, enseignèrent au monde païen la doctrine de leur Maître : leur prédication (l’Evangile) et leurs écrits ne sont pas encore de la théologie morale, mais en constituent la principale source ; et déjà certaines de leurs lettres (surtout celles de Saint Paul) visent à une exposition plus méthodique, à une application plus raisonnée de la morale chrétienne.

Cette tendance s’accentue chez les Pères et les écrivains ecclésiastiques, qui se succèdent dans les siècles suivants. Les ouvrages, où ils traitent de la morale, sont très divers : discours et exhortations, traités généraux ou particuliers, lettres, commentaires de l’Ecriture, exposent le plus souvent cette morale directement, « littérairement » pour ainsi dire, sans se préoccuper beaucoup de la systématiser, de distinguer vérités dogmatiques et vérités pratiques, commandements et conseils, principes et conclusions. Quelques-uns de ces ouvrages cependant, par leurs sujets plus distincts, par des analyses plus poussées, par l’utilisation des philosophies anciennes, sont déjà de vrais essais de théologie morale, — ils l’annoncent et la préparent : ainsi en particulier certaines œuvres de Clément d’Alexandrie, d’Origène, de Tertullien, de saint Cyprien, et surtout de saint Ambroise, de saint Augustin et de saint Grégoire le Grand.

C) Il faut arriver jusqu’au Moyen Age pour voir se constituer complètement la théologie morale ; c’est le grand effort de la scolastique qui lui trace la voie définitive.

Saint Thomas profite des travaux faits par saint Anselme, Abélard, Alexandre de Halès, Albert le Grand ; il part de l’inventaire patristique établi par Pierrr Lombard (Somme des Sentences) ; il utilise la philosophie aristotélicienne transmise par les Arabes, et, dans sa Somme Théologique, après avoir traité de Dieu créateur et rédempteur de l’homme, il expose comment ce dernier, doué du libre arbitre, peut en user pour retourner vers Dieu, en ornant son âme des vertus, en la préservant des péchés et des vices, en s’aidant des moyens multiples si libéralement mis à sa disposition par l’Eglise et dont les principaux sont les sacrements, — magnifique ensemble systématique de doctrines qui triomphera de toutes les critiques et l’emportera bientôt définitivement sur tous les essais similaires tentés par ses rivaux, comme Duns Scot. L’Eglise a finalement adopté la synthèse thomiste et en a fait la base de son enseignement théologique.