Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/822

Cette page n’a pas encore été corrigée

1631

TERRE

1632

qu’un procédé d’exposition, employé par l’historien sacré pour accroître, chez ses lecteurs, l’impression d’une création ordonnée et successive, bien que continue. La création des êtres organisés se développe suivant une loi précise ; chaque groupe vient à son heure, pour jouer un rôle déterminé d’avance : voilà ce que signifie, quant à la Vie, le récit de Moïse. L’espèce, végétale ou animale, nous y est donnée, non comme quelque chose d’absolument fixe, mais comme l’ensemble des êtres qui, à un certain instant, peuvent, en s’unissant, perpétuer la vie. Le transformisme n’est donc pas exclu. Libre au croyant de préférer, comme plus conforme à l’idée qu’il se fait de la sagesse divine, l’action naturelle des causes secondes à l’intervention répétée du Créateur. L’Eglise ne demande, au chrétien qui adhère aux doctrines évolutionnistes, que de réserver l’origine même de l’humanité. Elle n’est intransigeante que sur ce double point : création spéciale de l’âme du premier homme, et rattachement de l’humanité tout entière à un premier couple unique (voir Hommk). Si, comme il semble bien que ce soit, l’âge de l’humanité doit se mesurer en dizaine de milliers d’années, s’il atteint 30.ooo années ou /(O.ooo, au lieu des 6.000 ou 7.000 que l’on croyait autrefois résulter de l’interprétation des généalogies delà Genèse, le désaccord apparent cesse quand on examine de plus près ces généalogies : elles ne sont pas continues, elles comprennent des lacunes dont l’importance nous échappe, elles ne sauraient donc servir à Gxer la chronologie (voir Genèsk).

Quant au déluge, l’objection était double, visant d’abord l’universalité de l’inondation et ensuite l’absence des traces qu’un semblable cataclysme aurait, dit-on, dû laisser après lui. Or l’universalité géographique du déluge n’est imposée ni par l’Ecriture, ni par la tradition de l’Eglise : la première partie de l’objection tombe donc d’elle-même (voir Déluge).

La deuxième partie n’est pas plus redoutable. Le déluge, c’est-à-dire la brusque invasion d’une étendue plus ou moins grande, peut-être très grande, de la terre ferme, par les eaux marines, est un phénomène très fréquent dans l’histoire géologique. Le déluge biblique, qui a affecté la région continentale alors habitée par les hommes, a été précédé de beaucoup d’autres déluges, antérieurs à l’humanité ; et rien ne permet de dire que des phénomènes semblables, tout aussi destructeurs, ne se produiront pas dans l’avenir. La cause immédiate d’un déluge doit être cherchée dans un effondrement. L’effondrement brusque, qui modifie en quelques instants la surface du fond des mers, est nécessairement suivi d’un raz de marée. // n’y a pas de limite à la puissance destructive d’un raz de marée ; et il est de l’essduci’même d’une pareille invasion marine de ne laisser aucune trace. Seules, les invasions durables laissent des traces : ces invasions durables de la rærsontles transgressions des géologues. Mais l’invasion brusque, dont les inévitables oscillations ne persistent que pendant quelques jours ou quelques semaines, et qui cesse ensuite par le rétablissement presque exact du niveau des mers, ne laisse après elle aucune construction qui dure ; et les destructions qu’elle a opérées seconfondent, au bout de peu d’années, avec celles qui résultent du fonctionnement habituel des agents d’érosion. Le géologue est tout à fait Incapable d’expliquer les elfondrements ; il ne peut douter ni de leur fréquence, ni de leur amplitude effrayante qui va, parfois, jusqu’à produire, sur une certaine verticale, une dénivellation de plusieurs milliers de mètres, ni de leur extrême rapidité qu’il est tenté d’appeler brusquerie. Mais il

ne peut jamais dire jusqu’où s’est étendue la dévastation provoquée par l’une de ces descentes aux abîmes : car il ne reste pas de traces de cette dévastation. Demain, peut-être, provoqués par l’engouffrement d’un morceau de terre ferme vaste comme l’Australie, les flots de l’océan se rueront à l’assaut des côtes, sur tous les rivages du monde, et engloutiront, sous les ruines des villes et sous la boue des campagnes, le dixième de l’humanité. Quelques siècles passeront ; et l’on se demandera, comme pour l’Atlantide, si c’est de l’histoire ou de la légende.

Le récit de Moïse n’a donc rien qui doive étonner un géologue : c’est le récit, en langage vulgaire, avec de fortes images, d’un raz de marée de proportions gigantesques, consécutif à nous ne savons quel effondrement. Le phénomène est accompagné de pluies violentes et prolongées. Le narrateur donne à cette dernière circonstance, évidemment accessoire, une place importante dans le tableau delà catastrophe ; mais à côté des « cataractes du ciel », il mentionne les « sources de l’abîme » qui, manifestement, sont les flots de la mer. Et comme il parle aussi des oscillations de la crue, des eaux « allant et revenant », le tableau est complet et le géologue le plus avisé ne le peindrait pas d’autre façon. Reste l’ampleur du phénomène, qui, quel que soit le sens que l’on donne au texte sacré, est énorme et exceptionnelle : mais c’est là qu’est le miracle, et il ne fallait pas moins pour assurer de cette manière l’extermination de l’humanité coupable.

La foi chrétienne n’a pas à redouter les progrès de la géologie. Ni l’énorme durée des temps cosmiques et des temps géologiques ; ni la dilliculté de dire actuellement à quoi correspond, en réalité, la division biblique de cette durée en six époques ; ni la démonstration de la variabilité de l’espèce dans le règne organique ; ni la vraisemblance de plus en plus grande d’un certain transformisme ; ni l’ancienneté de l’homme, bien plus grande qu’on ne croyait jadis ; ni le caractère anatomique primitif, et en quelque sorte bestial, des exemplaires aujourd’hui connus de certaines races humaines très anciennes ; ni l’invraisemblance scientifique d’un déluge qui aurait couvert tous les continents et submergé toutes les montagnes : rien de tout cela n’est capable d’émouvoir le chrétien qui raisonne et qui sait.

Peut-il sortir de son rôle défensif et, tirant à son tour argument de nos connaissances actuelles en géologie, essayer, comme on l’a fait souvent, de prouver Dieu et sa Providence par l’histoire même de la Terre ? C’est ce qui nous reste à examiner.

Toute science conduit à Dieu, car toute science éveille chez l’homme l’idée de l’Infini et donne à l’homme le sens du mystère. La géologie est assurément, parmi les sciences humaines, une des plus évocatrices d’infini, une de celles qui ouvrent les plus vastes horizons, une de celles qui touchent le plus souvent aux choses mystérieuses. Elle est aussi grande que l’astronomie : car si l’astronomie va plus loin dans l’espace et joue, pour ainsi dire, avec la poussière des mondes, la géologie va plus loin dans le temps et joue avec la poussière des siècles. D’une certaine façon, même, elle est plus grando que l’astromie : car celle-ci nous montre l’existence de lois dans l’univers, de lois qui semblent immuables et éternelles ; tandis que la géologie nous convainc de la fragilité des systèmes et de la contingence des lois, nous fait assister à la ruine des montagnes et au vieillissement des astres, nous fait toucher du doigt la brièveté des choses, même des choses qui nous paraissaient devoir durer toujours.