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PRAGMATISME

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Puisque, grâce à cette communion invisible, nous devenons des hommes nouveaux, et puisque cet te exaltation de notre personnalité a sa répercussion dans le monde matériel. nous ne pouvons refuser le nom de réalité à ce qui produit ainsi des effets au sein d’une autre réalité. Ce Dieu lini, nous l’avons déjà noté, pourrait bien ne pas être unique.’Rien ne s’oppose à ce que chaque conscience humaine soiten relation, dans sa zone obscure, avec une personnalité spéciale. Le polythéisme serait alors la vérité. En fait, il a d’ailleurs été, le plus souvent, la religion du peuple. Si l’on objecte qu’avec le Dieu fini, surtout avec une pluralité de dieux, le salut de l’homme n’est plus assuré, James répond que la possibilité du salut suffit à l’homme pour sa vie pratique. La croyance de ce philosophe à l’immortalité personnelle est en effet bien incertaine, et il n’ose pas affirmer que nous puissions compter sur autre chose que sur la permanence et le progrès des valeurs impersonnelles, bien, vérité, justice, etc., grâce à la protection divine.

M. Schiller étudie de plus près que James les rapports de la foi et de la raison. Etant donné qu’il n’y a pas de connaissance pure, que toute idée est suggérée par un dessein particulier, qu’elle manifeste une certaine exigence de notre personnalité avec l’espoir que cette exigence sera satisfaite, le processus même de la vérification de nos idées montre que la foi, loin d’être un adversaire de la raison ou son substitut, en est un élément essentiel. « La raison devient donc impuissante à contester systématiquement la validité de la foi, parce que l’on prouve que la foi est essentielle à sa propre validité. » (Stud. in Hum., p. 353) Les axiomes n’étant que des postulats, la foi est au principe même de la raison. La science, à son tour, fait doublement appel à la foi, en usant du raisonnement dont la validité dépend des axiomes et en recourant dans chaque ordre de connaissances à des postulats spécifiques. La foi est ainsi définie : « L’attitude mentale qui, pour les buts de l’action, consent à se fier à des croyances dignes d’être estimées et désirées, avant que leur vérité n’ait été prouvée, mais avec l’espoir que cette attitude puisse promouvoir leur vérification. » (Ibid., p. 35 ?) La foi est donc avant tout affaire de volonté ; elle ne s’intéresse qu’à des valeurs et ce qui n’a ni prix ni importance ne saurait la susciter ; elle implique des risques et par suite ne saurait être assumée à la légère ; enfin, il est de son essence détendre à la vérification. Ainsi apparait-elle étroitement unie à la connaissance sans cependant se confondre avec elle.

Comment expliquer, la différence unanimement reconnue de la science et de la religion, si toutes deux partent de postulats et emploient la même méthode de vérification ? C’est que le processus, tout en étant le même dans les grandes lignes, offre de notables divergences dans le détail. La foi religieuse ne peut se vérifier par un appel direct aux données sensibles ; elle se légitime surtout par des expériences dont l’objet demeure interne, et si l’on considère également les effets des croyances à travers les siècles, l’influence sur le monde extérieur n’intervient qu’indirectement. De plus, le système des vérités religieuses est bien moins étroitement lié que celui des vérités scientifiques ; la connexion des postulats avec os besoins religieux et les expériences qui les saisfont, beaucoup moins obvie ; enfin, les concepts eligieux restent vagues et les méthodes d’expérimenation spirituelle sont bien moins clairement déterminées que celles dont use la science. Il y a d’ailleurs des formes illégitimes de la foi, ce sont toutes celles qui se ramènent à un refus de penser et de

« enter une vérification.

M. Schiller conteste plus résolument que James la

valeur religieuse de L’Absolu. Une fois qu’on a confondu Dieu avec la totalité de ce qui existe, on ne peut plus comprendre qu’il puisse y avoir dans ce tout uu élément qui soit étranger à la divinité.

« Dieu est le mal, tout de même qu’il est le bien, ou, 

mieux encore, il est sans caractère moral et indifférent, se manifestant en toutes choses de la même façon. » (Humanism, p. 81) Mais « … pour la conscience religieuse ordinaire, Dieu représente en fait quelque chose de vital et qui peut s’apprécier d’une manière pragmatique. Le plus généralement, son idée enveloppe ces deux principes unis : un principe humainement moral de Secours et de Justice et une aide pour la compréhension intellectuelle de l’univers, compréhension que l’on suppose parfois équivalente à une solution complète du problème du monde. » (Stud. in Hum., p. 285-286) Le Dieu de la conscience religieuse n’est, d’ailleurs, qu’un Dieu partiel, possédant une personnalité analogue à la nôtre ; aussi tandis que la croyance en la bonté de l’Etre Suprême est essentielle, la croyance en sa toute-puissance n’est qu’un assentiment verbal. Sauf les théologies les plus philosophiques, les systèmes religieux ont attribué l’existence du mal à un pouvoir qui n’est pas celui de Dieu.

C’est aussi à l’idée d’un Dieu fini, ou plutôt d’une pluralité de dieux, que M. Schiller se rallie. L’existence d’un seul Dieu n’est nullement prouvée. Les arguments classiques sur lesquels on s’appuie ne sont que des arguments a priori et ils ont le tort d’être abstraits. Ils valent pour toute espèce d’univers et n’ont rien qui les rattache au nôtre. La preuve ontologique conclut qu’il doit y avoir un Dieu, du fait qu’il y a un monde’ ; la preuve cosmologique, du fait de la causalité considérée en soi ; la preuve physico-théologique s’élève de l’ordre à un Auteur de ce dessein. Les particularités de notre monde n’entrent donc pas en ligne de compte, et les arguments vaudraient pour le meilleur et pour le pire des univers. La véritable preuve devrait au contraire être tirée de la structure de la réalité et du cours des phénomènes tels qu’ils s’offrent à nous ; elle serait appropriée à notre monde, et nous donnerait l’assurance que dans ce monde-ci, quoi qu’il en soit des univers possibles, il y « a un pouvoir qui a la faculté et la volonté d’en diriger le cours ». (/7kmanism, p. 83)

Les conditions préalables de cette preuve seraient d’abord la volonté bien ferme, et non un vague désir ou une simple déclaration de ce souhait, d’établir l’existence de la divinité par voie d’expérience ; ensuite, une idée moins confuse de Dieu que celle qu’on s’est formée jusqu’ici. Assurément, la perfection fait partie de ce concept, une perfection telle qu’elle s’établit au-dessus du changement et du temps, mais on ne voit pas pourquoi cette perfection serait réservée à la Déité. « … nous pouvons très bien concevoir un cosmos composé d’êtres dont l’activité se serait ainsi élevée au-dessus du changement. » (fb., p. 226) Ce merveilleux avenir est-il réservé à toutes les générations humaines ou seulement à celles qui existeront au terme de l’évolution ? Pour le dire, il faudrait avoir résolu la question de l’immortalité personnelle, et, ici encore, ce qui fait que les recherches sont si peu avancées, c’est que, malgré les apparences, le désir d’une autre vie est faible. Il ne figure pas parmi les intérêts capitaux, les préoccupations habituelles des hommes. On ne s’attache pas à scruter le problème d’une autre vie, parce qu’il faudrait penser à

1. Ceci est une erreur ; la preuve ontologique déduit l’existence de Dieu de ce que l’idée de l’être infiniment parfait inclut nécessairement l’existence.