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TEMPLIERS

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temps qu’édifices religieux inviolables, passaient pour les plus sûres banques de dépôt. Loin d’immobiliser les capitaux qu’on leur confiait, les Templiers surent les employer avec intelligence : ils ouvrirent des comptes courants aux gens solvables, s’improvisèrent courtiers, effectuèrent des paiements sur toutes les places, soit en transportant sous bonne escorte des sommes d’argent cons dérablesd’un pays à l’autre, soit par des virements de fonds et des jeux d’écriture. Leur comptabilité eut si bon renom que le Pape, les rois, les princes les chargèrent de leurs opérations de trésorerie. Le Temple encaissera le produit îles taillfs, acquittera les rentes ou remboursera les empunts de la royauté française. Depuis Philippe Auguste jusqu’à Philippe le Bel, le t » csor royal et le trésor du Temple auront une commune histoire (L. Dblislk, Mémoire sur les opérations financières îles Templier*, dans Mémoires Je l’Acadi lie des Inscriptions et Belles Lettres, t. XX XIII. 2e partie, Paris, 1889). En 1293, il est vrai, la gérance des fonds d’Etat fut retirée aux chevaliers. Ce n’était point l’effet d’une disgrâce, mais un essai d’administration royale directe. Apparemment, l’essaine futpas heureux ; vers le printemps de 1303, le frère trésorier reprit ses foaclions sous le contrôle des fonctionnuiresroyaux (Borrblu de Sbrrbs, Recherches sur divers services publics du XIII 9 au XVII’sirclr, t. III, Paris, 1909, p. i-.’|5, et Ch.-V. Langlois dans Journal des Savants, 1910, p. 489-498).

III. Mauvais renom des Templiers, — Un ordre religieux ne se transforme pas en puissance financière, en créancière des rois et des pape ; , sans éveiller bien des jalousies. La prospérité temporelle engendre presque fatalement le relâchement de la discipline, provoque l’orgueil, favorise l’affaiblissement des mœurs. A la lin du XIH 8 siècle, l’opinion publique était devenue malveillante aux Templiers. Oo les disait peu aumôniers. On leur reprochait d’avoir abandonné la cause de la Croisade. Tout bas, ou les accusait d’avoir pactisé avec l’Infidèle. Le clergé séculier récriminait vivement contre leurs immunités et leurs privilèges d’exemption. Les ordre » mendiants se lamentaient à cause de la concurrence des quêteurs laïc » employés par le Temple. Parmi le vulgaire, circulaient de vagues rumeurs. On parlait de la convoitise et de l’absence de scrupules des chevaliers, de leur passion de s’agrandir et de leur rapacité. Leur morgue insolente était proverbiale. On leur attribuait des habitudes d’ivrognerie ; on employait déjà le dicton « boire comme un templier ». Le vieux mot allemand Tempelhaus désignait une maison mal famée. On répétait enfin des propos de corps de garde, comme celui de ce chevalier qui, par vantardise, s écriait : » Gela ne tire pas à conséquence de renier Jésus ; on le renie cent fois pour une puce dans mon pays. » De là toute sorte de soupçons contre l’orthodoxie de l’ordre.

Le secret, dont la règle de l’ordre entourait les assemblées capitulaires, accréditait les bruits fâcheux. Les réceptions des novices avaient lieu la nuit. Des sentinelles gardaient la porte close des salles de réunions. Seuls, quelques dignitaires connaissaient la règle. Les simples frères la pratiquaient sans l’avoir consultée, ni possédée. Que devait penser le vulgaire, lorsqu’il entendait un templier dire : « Nous avons des articles que Dieu, le diable et nous antres frères de l’ordre nous sommes seuls à connaître » ? N’était-il pas amené à conclure que la rèj ; le renfermait de bien terribles secrets, si même elle ne prescrivait pas des abominations ? De tout temps, les mouila sécréta ont été l’épouvantait dont s’est effrayé l’esprit des simples.

(Ch. V. Lvnglois, f.e proers des Templiers dans Revu ? des Deux-Mondes, t. CIII (1891), p. 389-390.)

Il ne faut pas se méprendre sur la valeur des accusations répandues par la malignité publique contre les Templiers. Les Hospitaliers et les autres ordres n’étaient pas moins décriés qu’eux. La littérature du moyen âge, à tort ou à raison, censure crûment et sans distinction les mœurs monastiques. La fortune immobilière du Temple était bien inférieure à celle de l’Hôpital ; elle équivalait à la moitié ou aux deux tiers des biens des Cisterciens. (H. Finkb, Papsttum, X. I, p. 70 et 85, et Ch.-V. Langlois dans Journal des Savants, 1908, p. flao et s 1-) Un f a’1 surtout mérite l’attention et montre combien l’opinion s’égarait : dans le célèbre mémoire De recuperatione Terræ Sanctæ (1305-1307), où il préconise la suppression de l’ordre, Pierre Dubois ne formule aucun grief contre l’orthodoxie ou la moralité de ses membres ; il conteste uniquement l’utilité de l’institution (éd. Ch.-V. Langlois, Paris, 1891, p. 13-15). Il acceptait en somme l’avis des papes et des conciles, qui avaient déjà songé à fusionner les Hospitaliers et les Templiers.

IV. L’arrestation du 13 octobre 1307. — Le vendredi 13 octobre 1307, écrit le chroniqueur contemporain Jban db Saint- Victor, « survint un événement extraordinaire, inouï… tous les Templiers du royaume de France furent arrêtés à l’improviste le même jour et incarcérés dans diverses geôles » ; Baluzk-Mollat, Vitæ paparum Avenionensïain, Paris, ig14, t- L P- 8.

Le 1 4 et le 15, Guillaume de Nogaret se chargea de légitimer la conduite du roi (E. Boutakic, Clément V, Philippe le Bel cl les Templier.- ; , dans Revue des Questions historiques, t. X (1871), p. 32}329). Par des proclamations et des harangues tapageuses il montra au clergé et au peuple de Paris que le prince avait agi à la requête de l’inquisiteur général de France, frère Guillaume Iinbert, après consultation du pape (ce qui était faux) et sur l’avis des barons. Il énuméra les crimes infâmes dont les Templiers se rendaient coupables : le jour de leur réception les chevaliers reniaient par trois fois le Christ et crachaient, également par trois fois, sur le crucifix ; la sodomie leur était recommandée ; ils adoraient une idole ; à la messe, les prêtres desservant l’ordre omettaient les paroles de la consécration.

Au début de l’année 130â, il s’était en effet produit d. ; s dénonciations contre l’ordre du Temple. Un certain Esquiu de Floyran, originaire de Béziers, était venu à Lérida confier à Jayme II roi d’Aragon les révélations qu’il avait recueillies, en prison, delà bouche d’un templier, détenu en même temps que lui. N’ayant pas réussi à persuader son royal interlocuteur, il trouva accès près de Philippe le Bel, qui se laissa convaincre sans peine (II. Fi.xkE, Papsttum und Untergang des Templerordens, t. II, p. 83-85). Aux accusations d’Esquiu se joignirent, vers la même époque, celles d’un clerc languedocien, Bernard Pelet, et d’un templier gascon, Géraud Lavernha(i. MiCHBLBT, Proc es des Templiers, t. I, p. 3 ; et FinRe, op. cit., t. II, p. 319). Les révélations des trois personnages étaient-elles sincères ? On ne sait. Il n’est point invraisemblable de supposer avec Ch. V. Langlois (Journal des Savants, 1908, p. 42Ô) que lous trois servirent d’espions à Guillaume de Nogaret, ou du moins d’instruments. Ce qui pousse à le croire, c’est que Rsquiu ds Floyran toucha pour ainsi dire le prix de son espionnage sous forme de dépouilles du Temple de Montriooux (Tarn-et-Garonne) ; Mémoires de la