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PRAGMATISME

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pragmatisme pour beaucoup d’âmes dont les aspirations religieuses y cherchent un moyen d’obtenir une pleine sécurité.

Lorsqu’on donne au mot croyance son sens strict, c’est-à-dire, l’adhésion de l’esprit à une vérité qui n’est pas évidenteen elle-même, on distingue la religion de la science en disant que la science est un ensemble de propositions qui entraînent l’assentiment de l’intelligence parce qu’elles sont intrinsèquement justiliées aux yeux de l’esprit, tandis que la religion est faite d’allirmations qui exigent la foi. James abolit cette distinction. La science ne peut pas exclure la religion, sous prétexte que celle-ci est irrationnelle, purement arbitraire, car elle-même implique, dès son point de départ, des aflirmalions du même genre que celles qu’elle reproche à la religion.

« L’évidence et la certitude objeulivessont assurément

un magnitique idéal, mais oùpeut-onles trouver sur notre planète qu’éclaire la lune et que visitent les songes ? » (Ibid., p. 14) La science naît d’une exigence particulière de notre nature : le besoin impérieux de trouver entre les phénomènes des connexions régulières qui permettent de les expliquer et de les prévoir, de faire d’un monde qui présente au premier regard tant de désordre et de solutions de continuité un tout d’une harmonie logique et mathématique aussi complète que possible. Or, la science, dès le début, postule cette régularité parfaite qu’elle est bien incapable de prouver. C’est de cette foi qu’elle est née et cette croyance ne cesse de l’animer dans toutes ses recherches. Elle est donc exactement dans les mêmes conditions que la religion. Elle obéit à ce principe : Dans tout ce qui dépend de notre action, la foi opère sa propre vérification.

S’arrêter dans le scepticisme, en prétexlant l’inévidence de ce qui est affirmé, n’est pas une attitude plus rationnelle que celle de la foi, car lorsqu’il s’agit de religion, par conséquent du problème de sa destinée, l’homme se trouve en face d’une alternative pleine d’intérêt pour lui, d’une importance capitale, et de plus l’alternative est forcée. Puisque l’alternative s’impose, l’abstention a des conséquences pratiques équivalentes à celles de la négation. En n’agissant pas, ou bien en agissant d’une manière analogue à celui qui nie, dans un cas où il faut absolument prendre parti, le sceptique court les mômes risques. Or est-il plus rationnel de s’abstenir par souci d’éviter l’erreur, lorsqu’on s’expose à manquer une vérité de toute importance, que de donner son adhésion pour profiter de cette vérité, au risque de tomber dans l’erreur ? Certainement non, si le risque est médiocre et l’avantage capital, et tel est bien le cas en ce qui concerne la religion ; car partout où elle est sincère, pleinement développée, elle est un principe de vie et de joie incomparable.

Quand James traite delà religion, il l’envisage principalement au point de vue de son influence sur l’individu ; les conséquences sociales, et surtout les formes qu’elle prend lorsqu’elle est pratiquée par des groupes plus ou moins nombreux ne viennent qu’au second plan. Sans refuser toute portée aux dogmes, aux institutions et aux rites, il les considère comme dérivés de la foi. Les conceptions plus ou moins vaguesqu’elle suggère à chaque âme, les élansqu’elle lui communique, voilà ce qui lui paraît essentiel. Il a senti la difliculté de définir la religion, même de ce point de vue restreint. Il a beau, en effet, la considérer comme consistant en sentiments, en représentations personnelles, il lui faut pourtant distinguer les représentations et les sentiments religieux de ceux qui ne le sont pas. Cette distinction, à son avis, ne doit pas êtrecherchée dans ce qui les constitue, mais dans l’objet auquel ils s’appliquent. Il n’y a pas

d’amour, de crainte, d’espoir spécifiquement religieux, mais un amour, une crainte, un espoir se rapportant à un objet religieux. L’objet religieux ou divin n’est pas nécessairement une personne ou un ensemble de personnes, d’idées ou de choses. Il se définit par un caractère, toujours le même, quelle que soit la réalité ou l’idée qui offre ce caractère. L’objet religieux est celui qui apporte à l’âme un sentiment de joie tout pénétré d’absolu et d’éternité, sentiment empreint d’une gravité profonde, car le bonheur obtenu résulte de la victoire complète remportée sur le mal par le sacrifice et la résignation sans limites.

La religion est donc définie, du point de vuepragmatisle, par les effets qu’elle produit dans l’âme. C’est aussi par ses effets qu’il faudra juger de sa valeur. L’origine subjective importe peu ; les conditions organiques, qui sont, pour une part, des conditions nécessaires des phénomènes religieux, ne doivent pas être prises comme règle d’appréciation.

« Le matérialisme médical croit avoir dit le dernier

mot sur S. Paul, en qualifiant sa vision sur la route de Damas de décharge épileptiforme dans l’écorce occipitale. Dédaigneusement, il traite Ste Thérèse d’hystérique et S. François d’Assise de dégénéré héréditaire… » (L Expérience Religieuse, Trad. Abauzit. Paris, Alcan, 1906, p. 13) Mais cette explication positive des faits qui constituent l’histoire d’un esprit peut-elle trancher la question de leur valeur spirituelle ? Non, car d’après le postulat de la psychophysiologie, il n’est aucun de nos états de conscience qui ne dépende de conditions organiques, et ce ne sont pas forcement les gens les plus équilibrés, les plus vigoureux au point de vue corporel, qui font les plus brillantes découvertes dans tous les ordres, c’est même généralement le contraire, et le génie s’accompagne si souvent de troubles physiologiques, qu’on a pu le qualifier de névrose. Cela empêche-t-il l’humanité d’admirer les conceptions qu’il enfante et de s’en enrichir ?

Donc, au lieu de se tourner vers l’origine, il faut regarder les conséquences pour apprécier la valeur des faits religieux. Mais comment déterminer cette valeur ? Invoquer un principe abstrait, c’est être infidèle à la méthode pragmatiste ; d’autre part, sans une règle universellement ou du moins largement reconnue, l’appréciation ne dépend plus que des dispositions personnelles du critique. James avoue qu’il ne peut faire usage que de critères empiriques. Après avoir rassemblé, sans faire intervenir aucune conception a priori) toxis les faits psychologiques qui paraissent avoir un caractère religieux,

« former un jugement partiel sur chacun de ces détails

de la vie religieuse, en nous aidant de nos préjugés philosophiques les mieux enracinés, en nous appuyant sur nos instincts moraux et surtout sur notre bon sens…, conclure que somme toute, et d’après l’ensemble de nos jugements partiels, tel type de religion est condamné, tel autre justifié par ses fruits ». (Ibid., t. 381)

Appliquant ces principes à la sainteté et au mysticisme, qu’il considère uniquement parce que le caractère religieux s’y marque de la façon la plus nette, James réprouve certains états d’âme qtii relèvent d’une dévotion poussée, selon lui, à l’extrême. Il en cite des exemples, qu’il emprunte, de préférence, au catholicisme, et les trouve jusque dans des âmes dont la sainteté a été solennellement reconnue par l’Eglise : SteGertrude, Ste Marguerite-Marie, Ste Thérèse elle-même. Non seulement toute conviction religieuse intransigeante est rejetée avec la note flétrissante de fanatisme, mais les âmes contemplatives qui sonttoutes données à Dieu n’échappenlpas à