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SUGGESTION

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ses l’une : ou le freudisme a raison, et il extirpe du rêveur le secret de desseins qui s’épanouissent, ce qui est le triomphe de la liberté ; ou il a tort, et il invente ce qu’il prétend découvrir, ce qui réduit à zéro la suggestion du rêve.

§ 4) Considérées du point île vue biologique et organique sous le nom de tempéraments, les diverses formules suivant lesquelles se hiérarchisent et se combinent nos goûts et nos tendances ne sont pas davantage des contraintes. Quand on dit que le flegme de Philinte et la bile d’Alceste, que le spleen de Chatterton et la mélancolie de René prédisposent l’un à l’indulgence, l’autre à l indignation, celui-ci à la tristesse, celui-là à la solitude, on croit énoncer la loi d’un véritable fatalisme, parce que ces effets moraux et sociaux paraissent avoir une cause purement physiologique, comme le rappelle le nom grec d’une glande abdominale ou d’une sérosité humorale. Mais c’est un fatalisme tout relatif, comme celui de notre âge, de notre sexe, de notre état de santé, de notre situation pécuniaire, tous facteurs qui, eux aussi, nous rendent plus ou moins aisée telle ou telle vertu, et qui pourtant ne nous déterminent pas rigoureusement. C’est que ce prétendu fatalisme est corrigé par les libres freins de l’éducation, de l’habitude, du caractère ; et peut-être d’ailleurs ne serait-il pas plus inexact de dire que tel ou tel péché librement consenti, que telle ou telle vertu librement pratiquée modifie dans un sens ou dans l’autre le jeu des sécrétions internes et les effets d’ordre affectif qui leur correspondent. Quoi qu’il en soit, le tempérament incline et ne contraint pas.

§5) Quant aux phénomènes rattachés à la métapsychique, faits de transmission de pensée par des procédés inconscients et inexpliqués, nous avons de bonnes raisons de les considérer comme spontatanés, — quand ils sont réels. Or il faudrait qu’ils fussent provoqués et même expérimentaux, pour que l’hypothèse de suggestion fût légitime. Tout au plus peut-on dire avec Lombroso (Hypnotisme et Spiritisme, trad. fr., p. ao) que ces phénomènes n’ont lieu que chez des sujets hystériques ou hypnotisés ; avec Osty (Pascal Forthunr, p. 1 35), qu’il s’agit de sujets en état second ou en « transe ». Mais il n’y a pas suggestion pour cela : « rare, très rare est la réceptivité à la pensée volontairement suggérée » (Osty, Connaissance supra-normale, p. 197 ; — Pascal Forthuny, p. 13g).

B) Loin donc de diminuer l’autonomie de la liberté et de saper ainsi les fondements de la morale, l’étude des faits de suggestion nous aide à résoudre les objections faites au nom de la psychologie. Il est impossible, quand on considère les résultats des phénomènes d’hystérie, d’hypnose, de suggestion, d’expliquer par eux les guérisons miraculeuses (voir ce mot) ; le mysticisme (voir ce mot), dont les névropathies n’offrent que des caricatures par leur incohérence et leur versatilité, par leurtrouble et leur stérilité (Dwelsiiauvers, l’Inconscient, p. a64) ; les possbssions démoniaques enfin (voir ce mot), dont les vraies victimes sont souvent inconscientes, ce qui exclut le délire, et distinguent toujours Varripiens « le Varreptus, ce qui exclut la dépersonnr.lisation. II est piquant de remarquer que IIiciiet, dont le rationalisme prétend ignorer jusqu’au sens des mots Dieu, ange, ou démon, juge « beaucoup plus simple… l’hypothèse qu’il y a des êtres intelligents capables d’agir sur la matière. » (Traité de Métapsychique, 2" édfl., p. 728). Il est opportun d’observer aussi au prix de quels contresens, de quelles définitions inexactes, de quelles descriptions fantaisistes, le malentendu a pu s’établir (Uajknoi : v, op.cit., p. ioi$ ;

Laffohgue, op. cit., p. 90 ; Pascal et Davksnbs, op. cit., p. 69).

a) A priori, on doit, en effet, présumer que des effets transcendants ne peuvent surgir de causes naturelles, car on ne saurait donner aux autres, et même à soi, que ce qu’on a. Il est donc illogique de supposer que les plus hauts sommets de la psychologie religieuse, les carrefours les plus éblouissants où se sont croisés l’histoire humaine et l’ordre de Dieu, n’aient jamais été hantés que par des témoins délirants ou des passants suggestionnés. Au reste, les causes transcendantes ont des critères objectifs sur le plan des effets ; et la réfutation du sophisme a été faite en détail sur tous les terrains.

h) A l’épreuve de l’expérience, les limites de la suggestion sont encore plus saisissables ; souvent même elles tombent sous le sens. La cause en est humaine, les effets en sont naturels. Sans doute ii y a des degrés dans l’échelle des phénomènes qu’on peut appeler réflexes ; et si toutes les suggestions visent à rendre automatique ou réflexe, au moins partiellement, l’activité humaine, on peut accorder que les effets en sont nuancés et dissemblables, comme les notes d’un clavier dont le registre est très étendu. L’expérience du repas tictif, par exemple, imaginée par Pawlow sur un animal pourvu d’une fistule œsophagienne, détermine une sécrétion gastrique dont le terme est d’ordre végétatif, mais dont l’élaboration est déjà supérieure, dans sa complexité, à la réaction purement sympathique constatée par le même auteur, et par Wektiikimeh etLEPAPE, sur un diverticule intestinal excité par titillation. Ici le point de départ du réflexe est purement matériel, là il est imaginaire, tictif, immatériel. Si l’on remplace le repas fictif de Pawlow, à son tour, par la simple vue du mets appétissant, ou par le bruit de son nom, l’origine du réflexe devient purement psychique, et c’est là « le terme ultime où aboutissent les associations d’images », c’est-à-dire les suggestions « influant sur les sécrétions. » (Mayer, dans le Traité de Psychologie de Dumas, t. I, p. 560).

Mais que le second terme du réflexe devienne psychique à son tour, comme les larmes du roi de Thulé ou la nostalgie des cadets de Gascogne et leur fidélité à la terre natale, sur la seule injonction d’un air de ufre, alors le centre du réflexe ne peut être que cortical. Si, dans ces conditions, la réaction doit être non seulement d’ordre affectif, mais pratique, comme l’acte de monter à l’assaut à la seule vue du drapeau, alors on se trouve en présence d’un acte tellement élevé qu’on ne le conçoit même pas fatal. Une vaste généralisation peut encore appliquer ici le nom de réflexe, mais la volonté se sait capable d’intervenir, et de suspendre ou d’autoriser le déclic de la réaction. Sans ce pouvoir, tout serait prévu, et rien ne serait coupable ni méritoire. En fait, la multiplicité des réactions suivant les sujets et les circonstances prouve qu’ici on ne saurait parler de suggestion au sens banal. Mais quoi qu’il en soit, l’effet en est humain comme la cause ; et de tels réflexes, même sublimes, comme celui du sacrifice à une idée représentée par un symbole, ne modifient pas les limites de l’activité humaine. Quand celle-ci, par la surnature, est greffée sur l’ordre de Dieu, non seulement elle ne procède plus de la suggestion ni du réflexe ; mais elle annule les effets des suggestions humaines. Ainsi Jeanne d’Arc, suggestionnée par l’épreuve à laquelle la soumet Charles VII, ne se laisse impressionner ni par le sceptre ni par la couronne dont s’est paré un seigneur quelconque : elle va droit