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SUGGESTION

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les deux éléments du réflexe psychique, c’est-à-dire entre l’impression sensible (éléruenl centripète) cl l’expression du sujet (élément centrifuge). Ce phénomène peut s’observer à l’état de veille ou dans le dcmi-souimeil (état hypnagogique) ou dans le sommeil naturel ou dans le sommeil pathologique (hypnose), spontané (somnambulisme, hystérie), ou proque (fascination, magnétisme, transe des médiums). Il peut y avoir suggestion d’un seul par un seul (hétérosuggestion), ou de plusieurs par un seul (suggestion collective), ou d’un sujet par lui-même (autosuggestion).

II. Description. — La question est donc complexe, mais tant de phénomènes peuvent se grouper en deux genres. Suivant que la volonté réagit plus ou moins automatiquement à la sollicitation d’une image sensible, ou que l’intelligence intervient entre l’image et l’acte, la réaction es’différente : dans le premier cas. il y a vraiment réflexe, comme dans l’instinct ; dans le second cas, l’intervention de l’intelligence, l’interposition de l’idée entre l’image sentie et l’acte voulu, retire à la suggestion son caractère automatique. Il y a cependant encore quelque chose de subconscient dans cette forme de suggestion, c’est l’émotion produite par l’image. L’élaboration en est consciente et active, mais l’accueil en est passif, par définition. Suivant donc que le sujet, individuel ou collectif, élabore ou subit sans discussion l’image suggérée à son entendement, il consent ou il est entraîné. Ce sont les deux genres d’une espèce : nous avons proposé (Revue de Philosophie, nov. 1910) d’appeler suggestion passive celle qui s’exerce avec le minimum de contrôle intellectuel, sur un être au moins apparemment incapable de réagir ; et suggestion activée celle qui consiste en une collaboration du suggestionneur et du suggestionné conscient, docile et actif. Ciiarcot, qui a fait la fortune du terme suggestion, a eu le tort d’hésiter entre ce vocable et celui de sujétion ou subjection (Gazette des Hôpitaux, ann. 1878, pp. 1073-77) ; s’il avait maintenu les deux termes en les appliquant l’un à la suggestion activée, l’autre à la suggestion passive, il aurait supprimé l’équivoque. Car il ne s’agit pas ici de ce que les grammairiens appellent un doublet, c’est-à-dire d’un même mot à double forme, l’une savante, l’autre populaire, mais de deux termes différents d’étymologie, de sens et d’application, et dont aucun ne devait être sacrifié (paronymes). Ce malentendu a provoqué dss protestations que nous avons notées ailleurs (thèse de Paris, médecine, 18 juin 1908). Rappelons ici celle de WciTOï (Hypnotisme et suggestion, 1892, trad. fr. Alcan, igo5, p. 7a) : « C’est hors de sens que de ranger sous le terme de S. les phénomènes qui vont de l’association et de l’assimilation normales jusqu’à l’illusion plus ou moins fantastique et aux erreurs des sens, et de changer ce terme en une idée universelle qui, par là même qu’elle doit tout signifier, ne signilie plus rien. » Quinze ans plus tard, les maîtres de la psychiatrie regimbaient à leur tour : ’i Je ne fais pas de ce mot, comme Bernheim, un synonyme de toute influence d’un psychisme sur un autre ; je distingue la suggestion », disait Grassbt, de la persuasion, du conseil, de l’enseignement, de la prédication. » (Occiltisme hier et aujourd’hui, p. 88). El le professeur Janbt, qui a renchéri depuis (Médications psychologiques, 1921, chap. 11) sur son jugement de 1909, écrivait alors déjà (Les Névroses, p. 336) : Tout dépend du sens que l’on donne au mot suggestion », mot « plus spécieux que scientifique ».

III. Intérêt de la question au point de vue apologétique. — C’est à la faveur de cette équivoque

que l’on a tiré du ternie et de l’idée de suggestion un certain nombre d’objections, contre les données communément reçues de la philosophie spititualisle. On peut ne les classer que sous deux chefs.

A) Un premier groupe d’objections concerne la morale : la dignité de la personne humaine est-elle sauve, la liberté est-elle autre chose qu’un leurre, si une suggestion, partout possible, inspire et guide nos actes ? si l’éducation, l’ambiance professionnelle, nous font ruminer des pensées étrangèies, dont nous ne connaissons ni l’origine, ni le nombre, ni la puissance ? si enfin la fascination des hypnotiseurs, sous la forme la plus grave de ce phénomène, paralyse notre initiative et jusqu’à nos réactions préférées ? Nul doute que, sous cette fornv ou sous une autre, ne se soit accréditée une opinion publique pour laquelle les pires criminels sont toujours moins coupables que les propos, milieux, exemples et traditions qui les ont « suggestionnés ». Nul doute qu’une fausse élite littéraire, en vulgarisant ces paradoxes, n’ait contribué aux verdicts scandaleux d’une justice désemparée. Le fonoement même de la morale est ébranlé, si la Liberté n’est qu’une illusion.

A vrai dire, la suggestion ne se présente plus guère sous les espèces de l’hypnose, qui a subi une disgrâce depuis que Chahcot n’est plus. Mais en revanche, des problèmes nouveaux ont surgi, qui ont donné à l’objection des formes inédites.

Nous ne disons qu’un mot de la question des tempéraments, vieille comme le monde, mais rajeunie par les progrès de la physiologie des glandes à sécrétions internes. On sait qu’à la faveur de ces progrès, certaines tendances, certaines anomalies, certains penchants concernant les plus hautes facultés psychiques ont été présentés comme se manifestant en fonction de certains éléments humoraux. On est allé trop loin dans cette voie si l’on a pensé que la sainteté ou la malfaisance n’étaient que des effets de fonctions endocriniennes heureusement équilibrées ou malheureusement troublées. Mais de la formule de nos humeurs ne résulte pas moins une sorte de prédisposition fatale, de constitution même morale, de « suggestion » chronique.

En annexant à la Métupsychique une fonction peu connue de la nature humaine, à laquelle il donne le nom de cri ptesthésie, et qui a été dénommée aussi lucidité (Ostv), ou métagrwmie (Boirac), Richet a posé de son côté, quoique indirectement, la question de la suggestion sous une nouvelle forme. Si l’on entend sous ces noms le pouvoir rare, mais apparemment constaté, dont jouissent certains sujets de pénétrer sans savoir comment, sans signes objectifs apparents, la pensée ou le texte d’autrui, l’attention des psychologues a beau être attirée sur la réceptivité exceptionnelle de ces sujets : il s’agit peut-être, avant tout, d’un don également exceptionnel chez celui qui leur transmet sa pensée, ceci n’étant pas plus étrange que cela. Le pouvoir de la suggestion en serait accru dans ces cas.

B) Un second groupe d’objections concerne la psychologie : l’hypnotisme a rendu expérimentale une doctrine, en somme, déjà chère aux rationalistes de l’Encyclopédie et au naturalisme de Miciiblet ou de Rknan, doctrine essentiellement subjectiviste, suivant laquelle une illusion des hommes, une exaltation de leurs instincts ou de leurs vœux réalise les plus merveilleux effets attribués parla théologie à la grâce de Dieu : élans du mysticisme, extases et miracles. On a vu à d’autres articles et nous avons cité nous-même quelques objections constamment édifiéessur ce chaos (voir Ext Asu, GuiimsoNs, IIystèrib, Jésus-Christ, Mysticisme, Possessions, Stigmates). Mais le sophisme revêt de nouveaux noms