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SUBCONSCIENT ET INCONSCIENT

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Ou, pour mieux, dire, taudis que « subsistance » marque cette aptitude dans une nature quelconque,

« personnalité » ne s’emploie que quand il s’agit

d’une nature raisonnable. « Personnalité », c’est, comme parlaient les anciens philosopbes, « subsistance individuelle d’une nature raisonnable ». — On le voit du premier coup, d’un bout à l’autre de cette analyse, nous opérons, ténia sit verbo, en plein être ou, selon une formule aujourd’hui en vogue, dans le plan de l’être, et voilà juste pourquoi c’est concept métaphysique. Assurément, l’être, ici, se connaît lui-même, puisqu’il a pour attribut la raison : sui /uris, il est aussi sui compas et sui eonscius. Ce n’est pourtant pas eu tant que tel, en tant qu’il se connaît lui-même, qu’on le déliait de la sorte ( « subsistance individuelle d’une nature raisonnable »), mais en tant qu’il est, précisément, ou en tant qu’être, tout simplement et tout court (point de vue différentiel de la métaphysique, encore une fois) ; c’est, pour ainsi dire, sa manière d’être essentielle, fondamentale, ou la détermination première qui affecte en lui l’être (subsistance), c’est cela principalement, sinon exclusivement, que l’on s’attache alors à tirer au clair.

Tout autre est le point de vue des psychologues (et, dans l’ensemble, des psychiatres), à peine y at-il également lieu d’y appuyer. Si l’on relit à tête reposée leurs descriptions ou leurs analyses à eux, on a tôt fait de s’apercevoir que par « personnalité » ils entendent le système de représentations habituelles qui forme comme le champ de vision intérieure du moi, bref le contenu de Vidée du moi. Cette fois, c’est la conscience qui passe au premier plan ; ou plutôt, et pour continuer de nous servir de la même image, c’est dans le plan de la conscience (de cette connaissance intérieure ou par le dedans qu’est la conscience même) qu’on se place et raisonne désormais.

La conséquence se tire toute seule : les résultats auxquels on aboutit n’intéressent plus directement et par eux-mêmes l’ordre ou le plan métaphysique de l’être, auquel on ne peut pas comme cela les transposer sans autre forme de procès ou d’adaptation. Par exemple — nous y voilà, autant même qu’il est possible d’y être —, qu’on dise que par le jeu de diverses causes morbides, organiques ou mentales, ce système de représentations à quoi revient la « personnalité » psychologique, ou plutôt, et pour faire court, que celle-ci, la personnalité (psychologique ) subit des altérations plus ou moins profondes, se dédouble, se désagrège, se dissout, etc. soit : pareil langage, aussi longtemps qu’on s’en tient au strict point de vue de l’expérience immédiate et des faits tels qu’ils lui sont donnés d’emblée (bref, aussi longtemps qu’on reste dans le plan de la pure connaissance), ne souffre, à la rigueur’, pas trop de dilliculté, surtout après l’avertissement si suggestif qu’on nous donne de ci ou de là, à savoir que le dédoublement parfait ou absolu n’est dans l’espèce qu’un état-limite, vers lequel tendent les phénomènes observés sans l’atteindre à vrai dire jamais 2. A. combien d’autres

1. « A la rigueur », car le terme de personnalité a pris dans le langage théologiqueune signification si déterminée que pareil emploi en deviendrait vite fort discutable. Tout compte fait, pour éviter des équivoques fâcheuses, il vaut manifestement mieux y renoncer.

2. Cf. Altérations,.., p. 18’* : « Il faudrait que la division de conscience fût bien pavfaile, tout à fait schématique, pour que le moi normal ne perçût absolument rien de ce qui se passe dans une partie de son organisme. Si nous avons fait cette supposition, tout en la sachant erronée, c’est parce qu’il faut mettre de l’ordre dans la description des faits, i Sans doute, mais moins que

Tome IV.

systèmes de représentations n’en arrive-t-il pas autant, souvenir d’un voyage remontant à un passé lointain, possession habituelle d’une langue étrangère qu’on ne parle plus depuis longtemps, connaissances anciennes, autrefois très précises, enfouies sous les acquisitions accumulées dans l’intervalle, etc ? Combien qui s’en vont un peu à la fois, comme par lambeaux, progressivement rongées ou minées par la secrète action du temps, ce terrible et sournois dévastateur ! Prend-on prétexte de ces faits vulgaires pour discréditer le e.oneept traditionnel de la « personne métaphysique » et la réduire à une simple coordination d’éléments que sa ûxité relative ne préserve pas d’une désintégration éventuelle et éventuellement totale ? « Tout bien pesé et rabattu ». il n’y a pas plus de raison d en user de même à l’endroit de phénomènes pathologiques qui, pour offrir le grossissement exagéré de ces faits de la vie ordinaire, n’autorisent pas davantage une telle indue » tion 1.

III. — La métaphysique de l’inconscient

Comme nous l’avons observé dès le début, ce qui précède concerne exclusivement la doctrine de l’âme ou la psychologie rationnelle. Il faut maintenant nous placera unautrepoint de vue, avec lequel on se trouve plus que jamais transporté en pleine métaphysique, et même d’emblée, car c’est la nature du Premier principe de toutes choses, ni plus ni moins, sur quoi porte alors le problème.

Nous voulons parler du système d’Ed. von Hartmann, successeur de Schopenhauer à la tête du pessimisme allemand, système que son auteur lui-même a juste qualifié de « Philosophie de l’Incouscient

«.C’est aussi le titre du grand ouvrage où il l’a

exposé (Philosophie des Unliewussten, i re édit. Berlin, 1869, traduction française, sur la 7e édit. allemande par D. Nolbn, 2 vol., Paris, 1877) " 2.

Il ne s’agit d’ailleurs pas ici, bien entendu, d’un exposé en règle de cette doctrine. Notre dessein ne va qu’à en donner une idée générale au point de vue spéculatif, pour en discuter ensuite quelques thèses essentielles qui se rapportent à notre présent sujet.

Vue d’ensemble. — « Philosophie de l’inconscient », il importe de bien pénétrer le sens de cette appellation. D’une certaine manière, elle pourrait s’appliquer à toute philosophie qui nie l’esprit, surtout à l’origine des choses, et c’est alors au matérialisme qu’elle conviendrait par excellence. Mais il y aurait là une équivoque : en tout cas, Hartmann se fût récrié contre pareille extension du vocable de son choix. Bien plus, on peut dire que, s’il y est arrêté, c’est précisément pour mieux séparer sa cause d’avec celle du matérialisme lui-même. Et il a même institué de celui-ci, considéré sous la forme que lui a fait revêtir le mécanisme darwiniste, une critique vigoureuse, dont il y a beaucoup à retenir 3. Non

jamais on voit que la nature de la personne « métaphysique » en soit atteinte…

1. Par parenthèse, on pourrait pousser plus avant et montrer que, loin d’être mise par eux en péril, l’unité réellr du moi ne laisse pas de s’en trouver établie une fois de plus. Car enfin, n’est-ce pas la mémoire du moi normal qui alimente le moi « second », soi-disant éclos à la faveur de l’hypnose ? et si ces deux moi se servent de la même mémoire, n’est-ce pas juste la preuve qu’au fond ils continuent de n’en faire qu’une ?

2 Désigné par P. t. dans les références qui suivent.

3. Dans Wahrheit und Irrtum im Darwinismus, tint hritische. Uarstellun^ der organischen Enttvickelungstheorie, Berlin, 1875, traduit en français par H. Guk-KOi lt (Le Darwinisme, ce qu’il y a de vrai et de faux dans cette théorie. Paris, 1909 [9* ôditj).

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