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PRAGMATISME

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Si bien qu’après l’action libre, el malgré l’alternative réelle qui s’offrait auparavant, ce qui a été décidé reste intelligible, car cela reste toujours en relation avec les circonstances antécédentes. Le postulat de lasciences’accorderait donc de cetle manière avec les exigences de la morale. D’ailleurs, en pratique, les partisans dudélerminismeetceuxde la libertéagiront de même dans les deux cas. Les uns et les autres tablent sur une régularité très grande mais non illimitée des phénomènes physiques, et sur une contingence réelle, mais non absolue, des actes moraux. Il s’ensuit qu’au point de vue pragmatiste les divergences théoriques s’évanouissent. Le déterminisme absolu du monde inorganique est une hypothèse quia sa valeur, mais elle est loin d’être démontrée. Il se peut que la rigidité du déterminisme dans ce domaine tienne seulement à ce que nous opérons sur des multitudes d’éléments, que nous nous servons de méthodes et d’instruments imparfaits, que nous n’avons pu observer le cours des phénomènes que pendant un laps de temps relativement court par rapporta l’immensité des âges.

Si donc toute la réalité a quelque chose de moral comme nous, il est légitime de penser qu’à notre image elle se forme des habitudes et qu’elle est capable de s’adapter à des situations nouvelles. Les habitudes constituent la détermination relative des choses, leur capacité d’adaptation leur indétermination également relative. Il devient alors possible de comprendre comment nous faisons non seulement la vérité mais encore la réalité. Sans doute, entre découvrir la réalité et la faire il y a une distinction qui s’impose au sens commun et que le pragmatiste, dit M. Schiller, ne méconnaît pas. « On dit qu’une réalité est découverte et non faite, lorsqu’elle se comporte dételle manière qu’il ne convient pas ou qu’il est impossible d’attribuer sa réalité pour nous à notre activité subjective. Et en général les critères de cette distinction sont clairs et l’on ne peut s’y tromper. Désirer une chaise et en trouver une, et désirer une chaise et en faire une, sont des expériences qu’il n’est pas aisé de confondre, et qui enveloppent des opérations et des altitudes très différentes de notre part. Dans un cas, nous n’avons qu"à regarder autour de nous, et nos sens fidèles nous présentent l’objet de notre désir, qui s’accomplit sans effort ; dans le second, un processus prolongé de construction est nécessaire. » (Stud. in Hum., p. 430) Mais cette distinction est elle-même de nature pragmatique et elle n’est pas absolue ; il y a des cas où il semble difficile de tracer une ligne de démarcation bien nette entre ce qui est trouvé et ce qui est opéré ; par exemple, lorsqu’il s’agit de la connaissance que nous avons des sentiments de nos semblables. Ce que nous croyons qu’ils sont, ce que nous désirons qu’ils soient n’influe-t-il pas pour une part plus ou moins grande sur leursdispositions envers nous ? Toutefois, le pragmatisme peut légitimement s’arrêter à cette aflirmation : Nous faisons la réalité pour nous, c’est-à-dire, nous faisons que la réalité nous apparaisse ce que nous déclarons qu’elle est.

Mais notre connaissance entre-t-elle vraiment pour une part dans la constitution de la réalité telle qu’elle est en soi ? L’humanisme, qui a déplus hautes visées que le pragmatisme, tente de répondre à cette question, en passant du domaine de l’épistémologie à celui de la métaphysique. Il commence par relever soigneusement tous les points qui paraissent établis : i°) en faisant la vérité, nous altérons réellement la réalité « subjective » ; a*) notre connaissance, lorsqu’elle est appliquée, modifie la réalité objective ; 3") en certains cas, par exemple, dans les

relations sociales, la production subjective de la réalité est en même temps production objective, puisque, comme on l’a noté plus haut, les êtres humains sont affectés par l’opinion qu’ils savent que l’on a d’eux ; 4°) L’acte de connaître modifie toujours réellement le sujet connaissant ; et comme celui-ci fait partie de la réalité, celle-ci est réellement modifiée.

Mais que penser des cas où il s’agit de connaissance pure et dans lesquels, d’autre part, l’objet connu paraît dénué de conscience ? M. Schiller conteste tout d’abord qu’il puisse y avoir connaissance pureel simple. Ce genre de connaissance n’est qu’une abstraction intellectualiste. Pour le pragmatiste la connaissance n’est qu’un moment d’un processus qui, lorsqu’il est complet, se termine toujours à l’action qui en éprouve la vérité. C’est bien, d’ailleurs, la connaissance ainsi comprise qui exerce une influence sur l’objet connu, quand ce dernier est doué de conscience. « L’acteur qui a l’appréhension de la scène, n’a pas peur simplement d’être vu. Il craint d’être sifflé, et peut-être de recevoir des projectiles. Et la marmotte qui siffle dans son alarme ne redoute pas simplement qu’un observateur scientifique note ses agissements : elle apeur d’être tuée. » (Ibid., pp. 440-440 Si la connaissance n’avait pas cette portée, elle serait parfaitement négligeable.

Ceci suppose que tous les êtres sont doués de conscience à un degré quelconque ; autrement, le fait d’être connu serait sans influence sur eux. Bien que cette conclusion heurte violemment le sens commun et ne puisse s’autoriser d’une observation scientifique, M. Schiller n’hésite pas à l’adopter. Il essaie de la rendre acceptable en ménageant les transitions. Chez l’homme, où la pensée règne sur un si vaste domaine, l’opinion des autres agit de mille manières sur celui qui en est l’objet. Chez les animaux supérieurs ces relations, déjà bien restreintes, sont encore très visibles. Lorsqu’on descend l’échelle des êtres vivants, on voit ce cercle se rétrécir de plus en plus. Ma^s parce que nous n’obtenons pas des animaux inférieurs, des plantes, des êtres inorganiques, la réponse que nous en attendrionsen les concevant comme constitués à notre image, sommes-nous en droit de leur refuser toute conscience et toute perception ? Pas nécessairement. Ce manque de correspondance peut tenir à ce qu’ils sont trop étrangers à nous et à nos préoccupations pour faire attention à nous. « Leur indifférence prouverait seulement que nous ne pourrions pas intervenir dans quoi que ce soit qui les intéresse et qu’ainsi ils nous traiteraient comme non-existants. Nous aussi nous traitons leurs sentiments, s’ils en ont de quelque sorte, comme non-existants, parce que nous ne pouvons pas les atteindre, et qu’ils semblent n’introduire aucune différence dans leur manière de se comporter. v(lbid., p. 440

Mais peut-être suffît-il, par un effort d’imagination, de savoir interpréter leur conduite. Une pierre ne saurait nous entendre et il serait vain de lui adresser des discours. C’est là un plan d’action où nous ne saurions communiquer avec elle. Mais il y en a un autre où la rencontre a lieu. « Le monde commun » à la pierre et à nous est « seulement un monde physique de « corps » et « la conscience » en lui ne peut apparemment se témoigner qu’en étant dur, lourd, coloré, étendu, et ainsi de suite. Et tout cela, la pierre l’est et le reconnaît dans les autres

« corps »… Elle gravite, résiste à la pression, 

intercepte les vibrations de l’éther etc., et se fait respecter comme étant un tel corps. Et elle nous traite comme si nous étions de même nature qu’elle, au niveau de son intelligence, c’est-à-dire, comme des corps, vers lesquels elle est attirée en raison inverse